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"THE GILGIT POST"
CARNET DE VOYAGE - Page 3 -
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Page 1 : Trek du baltoro
Page 2 : Chitral / Expédition francaise au Nanga Parbat 2005
Page 3 : Trek sur les traces d'Eric Shipton / Gilgit / Shimshal

 

Fin juin 2005 : Sur les traces d'Eric Shipton

 

 

250 kms, 18 jours de trek épuisant sur les énormes moraines des glaciers de Braldu et du Biafo. Et pour quoi faire ? C'est toujours très loin des chemins battus que les surprises surviennent et croyez-moi, ce trek en a encore fait la preuve !

Dans les moraines du glacier de Braldu

Une confirmation tout d'abord confirmation : nous sommes bien la sixième expédition (deuxième française après celle de Bernard Odier en 1994) a être passée par les glaces de l'énorme glacier Braldu et son fameux col à 5620m, le Lukpe La. Rien ne garantissait le passage du col au vu des conditions météo exceptionnellement hivernales en ce début de mois de juin 2005. Mais finalement, la chance nous a souri. Nous avons fait une escapade vers la vallée méconnue de Wusm I Dur par laquelle Eric Shipton était revenu de sa grande exploration du Karakoram en 1937. Il est plus que probable que nous ayons été les premiers hommes à explorer de nouveau cette vallée depuis 68 ans ! Et les surprises furent à la hauteur de mes rêves.


Voici résumés les grands moments de ce trek.

Le Shimshal Pass, porte vers l'inconnu :

Femme a Shugerab

le trek a commencé doucement en direction des hauts pâturages de Shimshal. La vie pastorale du haut village de Shugerab, la simplicité de la vie et la gentillesse de ces femmes contraintes de vivre pendant 8 mois de l'année à plus de 4000 mètres d'altitude, tout cela m'a conquis. Cette année, la neige a contraint les 30 familles de Shugerab à retarder la transhumance vers les hauts Pamirs et à rester au village 15 jours de plus. L'herbe manquait pour les bêtes, il régnait une grande inquiétude au village.
Nous avons passé le Shimshal Pass en pleine tourmente ; d'ailleurs, il n'y eut pas un jour sans neige durant cette première semaine de trek. C'est donc dans un complet brouillard que nous avons passé l'un des principaux col marquant la ligne de séparation des eaux entre l'Asie centrale et l'Asie du Sud : d'un côté, les eaux vont se perdre dans les sables du terrible désert du Takla Makan. De l'autre, les eaux alimentent l'Indus, lequel ira se jeter dans la mer d'Oman très loin vers le Sud. Nous basculons donc vers la Chine et en même temps, vers de merveilleuses wilderness. Je constate au passage que les porteurs ne sont pas des enfants de cœur : nous faisons des réserves de viande en égorgeant un mouton… Puis c'est 10 heures de marche jusqu'à Chikar, au pied de la rivière Braldu.

Les Kulans ou Kyangs surpris
dans la vallée de Braldu
L'âne sauvage tibétain ou Kiang

L'âne sauvage (Equus Kiang) est appelé Kulan dans le Gojal, Kiang (ou Skyang) au Baltistan et au Tibet. Le Kiang est un animal fossile qui a vécu en Europe à côté des mammouths pendant les cycles glaciaires du pléistocène. Des espèces d'ânes sauvages subsistent au Tibet, au Turkménistan, en Somalie et en Inde, le Kiang étant le plus grand de tous (~250 kg). Le Kiang doit sa survie à ses instincts protecteurs innées. Doté d'une vue excellente, d'un odorat aigu et d'un système auditif perfectionné, le Kiang est aussi capable de trottiner sans arrêt sur de longues distances, il serait aussi un excellent nageur. En effet, le Kiang du Karakoram migre du plateau tibétain, traverse la rivière impétueuse de la Shaksgam pour brouter l'herbe fraîche des hautes vallées du nord du Pakistan jusqu'à 5000 mètres. Au Pakistan, il est présent exclusivement dans la zone comprenant le parc national de Khunjerab, la vallée de la Braldu et le coté nord du col de Mustagh où il a été rarement vu.

Le kiang à toujours joui d'une image mythique dans la région. Les deux puissantes montagnes du khunyang Chhish (7852m) et du Skyang Kangri (7554m) portent son nom, probablement à cause de leurs granits jaunes qui rappellent la couleur de son pelage. A l'Est du massif, les marchands de la route de la soie parcourraient le Skyangpoche, le sentier de " l'âne merveilleux " dans les paysages aux tons ocres du Karakoram oriental. C'est l'explorateur William Moorcroft qui le premier a rapporté l'existence de cet animal en Europe en 1821. Enfin, George Schaller à écrit sur le kiang dans son très beau livre " Stones of Silence" .

Le Kiang est répertorié comme espèce hautement menacé par l'Union Internationale pour la Conservation des ressources Naturelles (IUCN).

Le "Kulan", le cheval sauvage :

Nous remontons l'énorme vallée de la Braldu et passons la rivière

en enfourchant nos yaks. Nous installons un camp intermédiaire à la confluence des vallees de Wesm I Dur et de Skorga. Soudainement, c'est l'effervescence dans le groupe : on distingue au loin dans le lit de la rivière un "kulan" se détachant sur la ligne d'horizon. Seul Wahab en avait vu un auparavant. Il s'agit plus exactement d'un couple de kulan, ce qui signifie en langue locale "âne sauvage" bien que tout le monde s'accorde pour dire qu'il ne s agit pas d'un âne mais d'un veritable cheval : oreilles dressées, longues pattes, l'animal trottine avec grâce et souplesse dans la rocaille, sa robe jaune se détachant parfaitement sur le fond gris du lit de la rivière. Nous essayons de nous approcher mais l'animal se dérobe puis s'arrête en restant toujours à bonne distance ; il semble étonnement curieux de nous voir, de nous agiter pareillement. Je prends de nombreuses photos avec mon 300mm. L'animal prend finalement la fuite vers la vallée de Wusm I Dur, cela tombe bien, c'est aussi notre direction. Nous inspectons des empruntes fraîches dans le sable de la rivière ; Qudrat est formel, les empruntes, les excréments : il s'agit bien d'un cheval !

 

Nos yaks au Shimshal Pass

La rencontre avec cet animal plein de grâce a quelque chose de surnaturel dans ce rude désert de pierres. Le kulan semble plutôt vivre dans la vallée de Shaksgam située en aval et remonte l'été les hautes vallées adjacentes à la recherche de pâturages. En remontant la vallée de Wusm I Dur plus haut, nous surprendrons par deux fois ce couple.

C'est une chance incroyable que nous les ayons vus car cet animal semblait être plus un mythe qu'une réalité, y compris pour les locaux. Longue vie à ces chevaux sauvages qui trouvent leur liberté loin des hommes.

Les sépultures d'Uchelga :

Dans les cavernes d'Uchelga

mon guide Qudrat Ali connaissait l'existence d'une grotte faisant office de sépulture dans la vallée de la Braldu. Nous l'avons visitée. Elle est située au pied d'un énorme monolithe de pierre d'origine karstique au lieu dit d'Uchelga (uch =haut / elga=maisons / "maisons d'en haut"). L'entrée de cette cavité est protégée par un ancien mur de pierre. On peut retrouver au delà de ce mur des morceaux de poterie éparpillés. Dans la grotte des ossements, bras et jambes ; le bassin et le crâne ont disparu, apparemment la grotte a déjà été visitée. Les ossements semblent très anciens. Qudrat m'assure qu'aucune histoire d'homme mort et enterré dans les parages n'existe dans l'histoire et la mythologie de Shimshal. Une conversation avec les locaux à Shugerab nous révèle qu'il existerait beaucoup de grottes à visiter dans le secteur, certaines renfermant des accessoires et équipements, sellerie de chevaux, etc. Nous plongeons peut-être tout droit dans l'histoire méconnue des hommes qui vivaient à l'époque où les grands cols du Karakoram étaient empruntes par des marchands qui allaient et venaient entre l'Asie du Sud et l'ancien Turkestan. Cette histoire est totalement méconnue et passionnante. Déjà les grands explorateurs tels Younghusband , Schomberg, Conway et Eric Shipton ont alimente un débat qui reste ouvert de nos jours : comment diable des hommes ont-ils pu passer ces hauts cols glacés et crevassés à près de 6000 mètres d altitude (cols de Muztagh Est et Ouest, Lukpe La, Theram Sher) avec mules et chevaux ? Difficile de l'imaginer dans l'état actuel des glaces ; les cols permettaient-ils à cette époque un passage plus facile ? Les glaciers ont-ils reculé ou avancé depuis cette époque ? Vous pouvez lire la page consacrée à ce sujet sur ce site, en cliquant ici :. Rien pour l'instant ne permet d'élucider ce mystère et je suis sûr que dans les grottes d Uchelga, il existe bien des réponses à ces questions !
Nous avons explore trois autres cavités plus petites sans succès mais nous n'avons pas eu assez de temps pour mener des recherches sérieuses. Eric Shipton écrivait : "Il serait intéressant pour l'histoire d'envoyer une expédition dans ces pays pour tracer les restes de vieux itinéraires, de localiser les ruines d'habitations, et de déterminer l'histoire migratrice des personnes primitives de ces zones montagneuses isolées". Il est certain qu'une mission scientifique permettrait d'élucider bien des secrets concernant l'ancienne vie des hommes dans ces vallées reculées. Des archéologues pourraient probablement facilement dater ces ossements, en donner la provenance. Nous n'avons rien pris, nous avons laissé en l'état.

Wusm I Dur, la vallee oubliée :

Grandiose vallée de Wusm I Dur

Eric Shipton, dans son livre "Blank On The Map", ne disait rien de particulier à propos de la vallée de Wesm I Dur. Peut-être le mauvais temps lui avait-il fermé la vue sur l'amphithéâtre de montagnes que nous avons eu sous les yeux. Nous remontons donc cette vallée jusqu'à un point de confluence, une vallée s'orientant au Sud que nous explorerons à peine (la vue nous permettra de repérer une très belle flèche de pierres), l'autre vers l'Est que nous remonterons dans un pénible lit de rivière en direction du col de Wusm, décrit par Eric Shipton comme un col très dangereux (ice fall et crevasses). L'excitation bat son plein lorsque nous remontons une rampe de moraine vers des pentes herbeuses positionnées en balcon. Nous sommes à environ 4500 mètres d'altitude, nous sommes probablement les premiers à contempler ce merveilleux panorama : le temps est au beau fixe, des blue sheeps paissent les tapis de fleurs, la neige accumulée depuis des semaines dévale en avalanches les hauts murs de granit situés à l'Ouest. En face de moi se trouve une montagne aux parois très aériennes, j'ai beau chercher sur ma carte, rien n'y fait référence (je vérifierai plus tard son existence sur plusieurs cartes différentes, suisse, Nelles Map, américaine...). La pierre y est rouge orangée comme sur le Spantik ou le Baintha Brakk, la neige dévale dans une combe suspendue par laquelle dégueule une langue de glace tout à fait remarquable. Plus haut, seules les ices flutes s'accrochent sur l'arête sommitale très effilée. J'évalue avec Qudrat la cime à largement plus de 6000 mètres mais sur la carte incomplète, un seul point marque à 5870m et très décalé vers le Nord y figure. Tout est très beau ici, je vide mon appareil photo. Nous remontons la vallée jusqu'à son fond. Vers l'Est, le glacier de Wesm révèle effectivement une chute de glace, le front du glacier est très proéminent et s'effondre par ici ou là. Ceci laisse penser qu'il est en forte expansion. Plus à l'Est sur la frontière chinoise, des rampes superbes de glace et un sommet qui pointe à 6400 mètres sur ma carte présente de belles pentes faciles à grimper vers le glacier de Skamri. C'est une chance formidable de découvrir ces sommets inconnus et réellement très impressionnants. Je nomme secrètement le sommet aux flancs magnifiques le Wusm Peak : Wusm voulant dire "difficile", cette montagne ne vole assurément pas son nom. Ne reste plus qu'une évaluation de son altitude et un alpiniste qui aime la haute voltige pour en faire la première ascension.

Bienvenue au troisième pôle :

Descente sur le glacier de Sim Gang

Nous avons marché dans la neige durant 5 jours à plus de 4500 mètres d'altitude, des skis auraient été bien utiles pour cette randonnée nordique ! La partie haute du glacier de Braldu présente des étendues glacées dignes du Snow Lake, des cols semblent faciles à passer entre le glacier de Braldu et ceux de Skamri (en Chine) et de Nobande Sobande, situés un peu au dessus de la haute calotte de glace. Ce dernier itinéraire était celui programmé lorsque finalement, l'un des porteurs a refusé de passer le col (il est vrai qu'il a perdu son frère dans une avalanche au Chapchingol Pass il y a peu de temps). C'est donc vers le Lukpe La que nous nous dirigeons, au pied de l'énorme calotte de glace du Bobisgir (6416m). Nous pataugeons dans une épaisse couche de neige fraîche, aucune trace du fameux kairn dressé par Tilman 68 ans plus tôt au Lukpe la. Epuisés, nous dressons les tentes sur le col, la nuit y sera glaciale, probablement en dessous des -15°. Chaussures et duvets sont gelés le matin, mais quel spectacle : le glacier de Sim Gang s'étend à nos pieds, vers l'Est le K2 et le Broad Peak sont très loin, très proches, les faces Nord du Baintha Brakk (7285m) et du Sosbun Brakk (6413m) captent les premiers rayons du soleil, bienvenue au troisième pôle !

Je lance un appel :

Nous avons repéré de nombreuses cavités dans le secteur d'Ulchelga. Il faudrait passer au moins trois semaines dans la région pour récolter les témoignages des autochtones et explorer les cavités. Une équipe dotée de compétences sportives (d'escalade car les caviteé sont souvent situées sur des parois escarpées), historiques et scientifiques serait nécessaire pour mener une éventuelle mission d'exploration. J'invite quiconque serait intéressé par une mission scientifique en vue de prospecter les nombreuses grottes dans le secteur d'Ulchelga (voire dans les vallées adjacentes) à prendre contact par l'intermédiaire de ce site. Contactez-moi sur blankonthemap@free.fr


Les photos de ce trek ici.

Dimanche 22 mai 2005: l'aventure peut commencer

 

Enfin, le projet de trek entre Shimshal et Askole prend forme. Ce trek présente deux intérêts, culturel et géographique. Sur un plan culturel, les deux villages de Shimshal et d'Askole, bien que très proches géographiquement, sont habités par des communautés musulmanes bien différentes : l'une ismaélienne, l'autre chiite. Qudrat, qui sera mon guide pendant ce trek, aime parler de la génération de son grand-père qui n'osait pas aller au delà de la rivière Braldu en descendant des hauts Pamirs, de peur d'y rencontrer les Baltis. Les deux communautés se connaissent et se croisent désormais sur le Baltoro, elles se partagent le convoyage des trekkers que cette magnifique région attire. Pourtant, ils se moquent toujours les uns des autres. Qudrat me parle des montagnards baltis comme de gens rustres, mal équipés, peu téméraires dès la météo se dégrade ou que le terrain se crevasse, mais aussi comme des hommes durs à la tâche, capables de porter 40 kilos à plus de 5000m. "Ce que, nous autres Shimshalis, sommes incapables de faire" me dit-il. Le boss du guest house de Shimshal, dont le grand-père aurait participé à l'une des expéditions du colonel Shomberg dans les années 20, me disait : "les porteurs n'avaient même pas de couvertures pour dormir dehors, ils plaçaient des pierres en guise de matelas, dormaient les uns sur les autres pour se réchauffer, leur nourriture était rationnée, beaucoup revenaient au village avec les extrémités gelées". Les Shimshalis considérés en ce temps-là comme très arriérés, et surtout très sales, ont désormais bien changé ! Ils sont plus jovials que leurs voisins baltis, et très professionnels dans leur façon de pratiquer la montagne ; en revanche, leurs services sont plus onéreux.

L'appel des montagnes...

Le trek sera donc un pont symbolique, un lien culturel entre les deux communautés. L'intérêt sera aussi géographique. Une seule montagne sépare Shimshal d'Askole, mais quelle montagne ! L'Hispar Muztagh est, de l'avis des géologues, l'endroit au monde où la poussée de deux plaques tectoniques est la plus active. C'est une barrière glacée continue de 150m de long, haute de plus de 7000m où seules trois faiblesses (trois cols) sont recensés :
- le Kurdopin Pass : 5790m, découvert par Tilman en 1937 ; tenté bien souvent, technique et avalancheux dans sa partie nord, il n'a été franchi que deux fois,
- le Lukpe La : 5650m, franchi par Tilman en 1937, par un Pakistanais en 1981, deux Anglaises en 1984, Bernard Odier en 1994 et David Hamilton en 2004,
- le Wusm Pass : 5770m, franchi par Eric Shipton en 1937 et, sauf erreur de ma part, jamais refranchi depuis soit depuis 68 ans !
Le projet se propose de retracer la route de Tilman par le Lukpe La ; nous nous accorderons également quelques jours d'exploration dans les vallées adjacentes. Bien sûr, l'attrait de l'inconnu est prédominant : on aurait vu dans les parages une espèce d'âne sauvage non recensée, les ours seraient toujours présents et n'oublions pas que c'est dans cette région que Tilman a photographié l'une des seules preuves de l' existence du Yeti (appelé belgush ici). Bref, l'imagination travaille déjà !
Je voudrais faire la comparaison des récits d'Eric Shipton (Blank On The Map) et du colonel Shomberg (Unknowm Karakoram) avec ce que je verrai sur place, ce qui est susceptible d'avoir quelque intérêt historique et scientifique. Rendez-vous dans un mois pour le débriefing !

Note de la webmaster par interim : Bruno a passé une semaine à Karimabad pour préparer cette expédition avec son nouveau guide, Qudrat. Il a également visité quelques mines autour de Karimabad. En principe, il part pour Shimshal le 31 mai ou le 1er juin. Des nouvelles de son trek seront donc certainement disponibles dans 3 ou 4 semaines. Pour le joindre à son retour, toujours une seule adresse : blankonthemap@free.fr (apparemment, il y a un cybercafé presque haut débit à Karimabad, mais l'électricité semble quelque peu capricieuse !). Bénédicte

 

18 mai 2005, Frugale Shimshal

 

 

Shimshal, un mot que l'on prononce encore comme une formule magique, le dernier Atlantide des montagnes, une communauté perdue dans les montagnes que les gens de Passu indiquent par un vague geste de la main voulant dire " derrière les montagnes ", Shimshal est maintenant reliée au monde. La route a été achevée le 25 octobre 2003 et relie désormais Shimshal à Passu en 4 heures seulement… au lieu de 5 jours de marche.

Pont suspendu près de Passu

Autrefois, il était nécessaire de traverser 13 rivières à pied ou accroché à un câble, pour parvenir jusqu'à Shimshal. Dans les années 80, le gouvernement a refusé tout crédit pour la construction de la route ; les travaux ont donc débuté grâce à la force des Shimshalis et aux dons d'équipements de la part de leur bienfaiteur, le prince Agha Khan. Voyant que les travaux allaient bon train, le gouvernement a finalement décidé d'attribuer le budget nécessaire pour finaliser les 56 kilomètres de piste et 13 ouvrages d'art à la fin des années 90. Les habitants de Shimshal se réjouissent de l'achèvement de la route, avançant qu'il est désormais possible de transporter rapidement les malades en urgence à l'hôpital. Mais la communauté, qui comptait 700 habitants il y a 10 ans, en compte maintenant 1700 ; cette explosion démographique justifie à elle seule la fin de la vie autarcique à Shimshal. Les jeeps et les tracteurs circulent désormais aisément sur cette route entretenue par 6 cantonniers employés à temps plein, et qui ont fort à faire compte tenue des glissement de terrains réguliers.

On peut se demander ce que cette route va changer pour cette communauté dont la culture a été jusque la relativement préservée. Visiblement, les choses changent déjà : les maisons autrefois construites à l'aide de matériaux locaux - pierres et boue séchée - sont désormais construites en ciment. On voit aussi ça et là de la tôle ondulée, matériau qu'il était tellement fastidieux de transporter à dos d'homme jusqu'au village. Les déchets commencent à apparaître sur le sol (sacs plastiques, piles...). L'instituteur, autrefois très critique à propos de cette route, m'a tenu ces propos : " les Shimshalis veulent maintenant faire du business et se déplacer aisément ; de toutes façons, il était impossible d'arrêter la route... ". J'ai aussi rendu visite à Reymat, mon vieil ami, lorsque je suis arrivé à Shimshal. Depuis ma dernière visite il y a 4 ans, la famille s'est agrandie de 2 enfants, dont une petite fille handicapée. Reymat avait une petite boutique de peintre décorateur à Gilgit mais il lui a fallu revenir à Shimshal pour venir en aide à sa famille après la mort de sa mère, bref redevenir paysan comme son père. Son enfant malade a besoin de soins, son état a déjà nécessité une intervention chirurgicale à Karachi ; la route est donc pour lui un énorme soulagement. Les Shimshalis veulent faire de l'argent, les hôtels poussent comme des champignons. Le patron de la nouvelle guest house me disait : " les Shimshalis ont la réputation d'être bien éduqués mais cela ne suffit pas. Il n'y a pas un habitant de Shimshal qui ait atteint un haut statut social, pour une simple et unique raison : économique. C'est pourquoi il n'y a pas de docteur à Shimshal. L'éducation des enfants a été sacrifiée durant les 17 ans nécessaires à la construction de la route. Nous avons désormais besoin de davantage d'argent et d'éducation. "
La vie à Shimshal est bien dure, mais les conditions d'hygiène s'améliorent déjà. Le printemps est là, les abricotiers sont en fleurs, les yaks sont déjà montés dans les hauts Pamirs, la saison touristique peut commencer ! Si vous voulez encore voir Shimshal préservée, venez vite car dans 3 ans, plus rien ne sera comme avant. Shimshal s'est ouvert au monde, pour le meilleur et pour le pire.

 

6 mai 2005, Gilgit

 

 

Les vallées des territoires du Nord sont réputées calmes et accueillantes certes, mais pas partout. Certaines vallées reculées sont sous la domination de lois islamiques comme dans les fameux territoires tribaux de l'Ouest, la vallée de Swat ou dans le Kohistan où grandes barbes et burkas sont les tenues de rigueur, où les touristes de passage doivent montrer patte blanche. Je demandais encore au patron de mon hôtel à Rawalpindy si Chalt (village situé au Nord de Gilgit) est un village accueillant ; il m'a répondu : " Don't go, sharia law, no good people " (je ne sais si c'est vrai). Et à un Hunzakut rencontré dans le bus hier, j'ai demandé ce qu'il pensait d'une société dominée par les hommes ; il m'a répondu en baissant les yeux : " I know, it is a big problem... ". C'est toujours la même ambiguïté dans ce pays, on y rencontre beaucoup de gens accueillants, chaleureux et progressistes… et l'inverse absolu. Pourtant, ils cohabitent ensemble, l'islam en commun, le ciment de la société pakistanaise, l'un modéré, l'autre extrémiste et minoritaire. Le Pakistan est avant tout un pays cosmopolite, multi-ethnique où les fondamentalistes religieux sont minoritaires, qu'on se le dise.

Fouille des camions à un check point sur la
route après Chilas

Gilgit a donc fait les frais il y a 6 mois d'une sombre divergence d'opinion entre deux groupes religieux antagonistes, ça s'est terminé par une dizaine de morts. Depuis, l'armée est présente dans la ville et sur la route, démontrant ainsi sa volonté de maintenir l'ordre dans cette région que l'Inde revendique toujours comme lui appartenant et qu'elle pourrait bien infiltrer pour attiser le feu du conflit. Le déploiement est assez impressionnant, les bus rassemblés en convois sont escortés la nuit, les fouilles sont nombreuses durant le parcours jusqu'à Gilgit, check points, etc. Le tout se passe dans une ambiance bon enfant mais on devine alors à quel point le Pakistan veut garder sous contrôle la capitale de l' Azad Kahmir. C est sûrement grâce à ces manœuvres que le n°3 d'Al Quaida vient d'être arrêté à 50 km au Nord de Chitral. Après l'Afghanistan, le Pakistan ne constitue plus une terre d'accueil pour les fondamentalistes, les temps changent, tout juste leur restent-ils quelques vallées reculées, en bordure du monde.

Gilgit est située à la confluence des rivières Gilgit et Hunza ; la ville a eu ses heures de gloire à l'époque du Big Game, dernière grande ville du Nord des Indes, menacée àl'époque par les troupes de l'empire russe tout proche dont seules les montagnes ont cessé la progression. Gilgit est assez laide, il faut bien le dire, on n'y vient pas pour admirer la vue mais pour les commodités que la ville offre ; c'est aussi la porte de Hunza, une étape obligée avant le merveilleux Shangri La, le jardin d'Eden de l'Himalaya.

Note de la webmaster par interim : le 7 mai, Bruno a quitté Gilgit pour rejoindre la vallée de la Hunza, Passu et Shimshal : "je vais aller vivre un peu avec eux [les Hunzakuts], ces gens qui m'inspirent un profond respect, et peut-être faire un petit trek pour aller voir la face Nord du Kanjut". Bruno a prévu de revenir sur Gilgit dans deux ou trois semaines, où il pourra à nouveau lire ses mails (à lui adresser à blankonthemap@free.fr ) et nous envoyer de nouvelles impressions pakistanaises. Bénédicte.

 

3 mai 2005, Rawalpindi, Welcome in Pakistan !

 

 

Un bus local

Lundi 2 mai, 5h30, l'avion atterrit sur le tarmac rapiécé de l'aéroport international d'Islamabad, dans la lumière si particulière des matins du sous-continent. Welcome in Pakistan. Le taxi déambule dans les rues qui se réveillent, les chiens galeux à la recherche de nourriture laissent la place aux hommes qui s'activent. Premiers coups de balai, les devantures des magasins qui claquent, les rickshaws qui pétaradent déjà, les taxis qui klaxonnent… Le concert dure toute la journée. Welcome in Pakistan. Les gens sortent dans la rue mais beaucoup y sont restés cette nuit. Pas besoin de grand chose pour exister, peu de richesse, peu de nourriture, peu d'espace, petits métiers et petite monnaie mènent la danse. En revanche, la spiritualité est partout, donne un sens a l'existence, prend corps dans l'hospitalité qui surprend le voyageur : une main posée sur le front pour le remercier en témoigne. Le muezzin inonde la ville de ses longues plaintes, on s'endort avec lui, on se réveille avec lui, on vit avec lui, il transperce notre âme et ne vous lâche plus d'une semelle. Welcome in Pakistan.
Demain, c'est route vers les montagnes de Gilgit. Les récents évènements entres groupes religieux y ont fait débarquer l'armée qui n'en décampe plus ; on m'a assuré que le climat y était redevenu très safety. On me dit aussi que les montagnes sont restées fortement enneigées suite aux intempéries exceptionnelles de cet hiver ; ce n'est pas une bonne nouvelle mais nous verrons bien ce que l'altitude me réserve. Inch Allah.

 

Carnet de voyage : mode d'emploi

 

 

Sur cette page, vous pourrez lire mes quelques notes prises au cours de ce nouveau voyage qui me mènera d'abord au Cachemire puis en Chine et retour au Cachemire, où je compte rester environ 3 mois, puis vers l'Inde enfin. Le voyage réservant toujours des surprises, j'essaierai de vous les communiquer, dans la mesure du possible bien sûr, au gré des connections Internet.

En route !

Vous pourrez consulter sur le site mes quelques notes accompagnées de photos et (pourquoi pas) de quelques petits films vidéos sur mon carnet de voyage que j'essaierai de mettre à jour au gré des cybers cafés. A partir du 23 juin 2005, vous y lirez mes notes sur l'expédition française au Nanga Parbat 2005. Philippe Arvis compte emmener 6 personnes sur la face Diamir du Nanga Parbat jusqu'à son sommet sans oxygène, une performance fabuleuse pour une équipe expérimentée dont l'éthique d'ascension motive autant que l'objectif du sommet. L'équipe comptera donc le leader Philippe Arvis (Everest, K2, Cho Oyu, Shishapangma, Aconcagua et Denali), Christophe Faisy (Aconcagua, Cho Oyu, GII, Daulagiri, Noshaq, Kun), Hugues d'Aubarèdes (Everest Face Nord, Gasherbrum II, Mc Kinley), Bernard Constantin (Pic Communisme, Denali, Daulagiri), Georges Dombes (Ama Dablam et nombreux sommets andins) et sa femme Marie Ochoa (nombreux sommets alpins et andins). L'équipe motivée par la manière d'atteindre le sommet envisage l'ascension majoritairement en style alpin, et compte nettoyer le camp de base. Ce projet réalisé en partenariat avec l'association Mountain Wilderness. J'espère aussi accomplir un grand trek dans les régions frontalières du Shaksgam pour ceux qui connaissent, et ainsi relier les villages d'Hushe et Askole par le méconnu glacier de Braldu, le col de Lukpe La, le Snow Lake et le glacier de Biafo. Impossible de savoir si ces 3 semaines de traversée réussiront mais une chose certaine, l'aventure sera au rendez-vous dans cette terra incognita. D'autres projets sont en vue mais vous les découvrirez tout au long du voyage.

Grâce à vous, la popularité de Blank on the Map ne cesse de s'accroître et le site dépasse désormais les 300 visites par jour. Une communauté de passionnés de montagne aime s'y retrouver, j'espère que ce phénomène n'en est qu'à son début. Je reviens mi septembre, bon vent à tous d'ici là merci pour vos nombreuses visites sur Blank on the Map !


Bruno, webmaster de http://blankonthemap.free.fr


A voir aussi sur le même thème :

Statistiques géographiques
Parapente en Himalaya Page histoire du ski pulka à travers le Karakoram Page voyage à travers les hauts cols du Karakoram Index géographique Statistiques géographiques

http:blankonthemap.free.fr, Rév A - 02/04/05


 

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