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"THE GILGIT POST"
CARNET DE VOYAGE - Page 1 -
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Page 1 : Trek du baltoro
Page 2 : Chitral / Expédition francaise au Nanga Parbat 2005
Page 3 : Trek sur les traces d'Eric Shipton / Gilgit / Shimshal

 

2 Septembre 2005 : Le Baltoro de l'interieur

 

La vallee de Skardu

Nous sommes partis Benedicte et moi-même faire le trek du Baltoro, après beaucoup d hésitations. Apres 15 jours de randonnée, nous n avons pas regrette, clôturant moi-même une traversée du Karakoram de 35 jours allant de Shimshal a Hushe et reliant 2 parties du massif très différentes, l une sauvage, l autre surpeuplée et polluée. Plutôt que de faire une description ennuyeuse du parcours, nous avons préfère Ben et moi relater ce qui, pour chacun et pour chaque étape, a marque le plus notre esprit durant nos journees. En voici l essentiel :

Mardi 2 août 2005 - Askole > Korophon (10 km ; 3 000 m)

Visite du fort de Shigar

Ben - 12 h d avion depuis Paris, 22 h de bus sur la KKH entre Rawalpindi et Gilgit, 6 h de minibus entre Gilgit et Skardu, autant en jeep entre Skardu et Askole... Nous quittons Askole, a pied, enfin, ce qui me réjouit. J ai malheureusement été malade hier en jeep, je n ai rien avale depuis hier matin et je marche assez péniblement, le ventre vide et retourne. J ai d autant plus de mal à avancer que je pensais être vite récompensée de mes efforts en étant entourée de géants de 6 000 ou de 7 000 mètres. C était méconnaître le Karakoram, et plus encore méconnaître le Baltoro, qui n est encore, et ne sera encore pendant 3 jours, qu une rivière, une rivière puissante et lourde de sédiments qui la rendent complètement grise. Nous marchons sur un chemin de sable qui semble d or et d argent, toutes les pierres, les rochers, les parois qui nous entourent sont plein de gypse et de quartz, tout scintille sous le soleil qui nous accompagne - et nous brûle - et notre peau brille aussi tant l air que nous respirons et l eau que nous buvons sont charges de ces cristaux. Est-ce que ça nous fait aussi briller de l intérieur ?

Bruno - Askole est un village de porteurs, c est ici le métier roi pendant les 3 mois d été que constitue la période touristique. Partout des cohortes de porteurs vont et viennent, en majorité vers et depuis le Baltoro, en sandalettes, charges d armatures en bois et métal rudimentaires sur lesquels ils disposeront leurs 30 kg, parfois 40 de bagages. Nous n aurons pas de mal a trouver 7 porteurs et partons nous aussi vers le Baltoro. A Korophon nous campons dans une oasis plantée de tamaris protéges par les interminables moraines du Biafo, au bord de l impétueuse rivière Biaho alimentee par les eaux du bassin du Baltoro. Je regarde les glaces du Biafo en amont d ou je redescendais 1 mois plus tôt de mon périple par la vallee sauvage du glacier de Braldu ; c est ici le vrai carrefour de mes 2 treks, je reprends la marche non sans plaisir, malgré la torpeur creee par la chaleur.

Mercredi 3 août 2005 - Korophon > Bardumal (13 km ; 3300 m)

Camp de Korophon

Ben - Partis pour un trek d environ 2 semaines sur glacier, donc sans village et sans ravitaillement possible, nous adoptons le mode de randonnée qui a cours ici : le portage humain. Cela ne suscite aucun étonnement ici, et tous les trekkeurs et alpinistes qui ont pratique la montagne dans l Himalaya connaissent et utilisent ce service. Avec mes petites vues humanistes profondément ethnocentrees, le fait de recourir à des porteurs pour transporter la nourriture de mes repas me plonge dans des interrogations sans fin et m oblige à faire face a de nombreuses contradictions. La solution de compromis que nous décidons d adopter sans s être vraiment concertes, c est que nous partirons avec des porteurs - de toutes façons, notre guide et notre cuisinier ne portent pas leurs affaires - mais que nous porterons chacun notre sac a dos, contenant nos affaires personnelles, tente, duvets, baudriers, crampons, vêtements, appareil photo, etc. Je porte donc quelques 15 bons kg et Bruno une bonne vingtaine. Une trekkeuse que nous rencontrerons sur le chemin s étonnera de la taille de nos sacs. "It s good for local economy to go with porters" nous explique-t-elle. Il est vrai qu Askole est un village de porteurs, que tout le monde y a recours, et les groupes de trekkeurs des agences de touristes très largement, le ratio moyen étant 5 porteurs pour un trekkeur - et si le trekkeur en question a bien paye $ 3500 (minimum), les porteurs baltis chiites lui porteront, en plus de ses affaires persos, une table, une chaise, un stock de viande de porc, et pourquoi quelque bouteille d apero ! Les prestations proposées par les agences ne cesseront de me surprendre... de m exaspérer en fait pour être honnête. Mais on m a déjà fait remarquer que mon approche de la montagne est un peu trop élitiste...
Nous faisons donc office d expédition hors norme avec nos 7 porteurs et nos gros sacs sur le dos, mais j ai l impression que c est bon, peut-être pas pour l économie locale, mais au moins pour la dignité de tout le monde, la notre comme celle des porteurs, que nous ayons le souffle court a cause de notre charge. Parce que je suis une femme, mon comportement suscite des regards étonnes. J imagine que cela peut passer pour de la fierté mal placée, surtout pendant les étapes des premiers jours ou nous sommes encore a une altitude assez basse et ou les dénivelés sont faibles. Ceux que nous croisons ces jours-la ne peuvent pas savoir que nos sacs, nous les porterons aussi quand il faudra passer le col, parce que tous nos porteurs auront rebrousse chemin, ne souhaitant pas passer le col ! (et d ailleurs, en montant ce col a 5600 m , et surtout en le descendant, je comprendrai aisément ce qu il peut représenter comme dangers et épuisants efforts pour des porteurs dépourvus de tout équipement de montagne, voire même dépourvus de chaussettes et de gants...)

Bruno - Je fais une constatation a Bardumal que je n avais jamais faite auparavant. L eau qui coule ici fait un bruit particulier, un crissement imperceptible accompagne le bruit classique du torrent, celui du sable qui vient égratigner la pierre, pareil a celui d une eau en effervescence, bouillonnante. L eau est ici une particularité saisissante de ce massif, capable de trancher les pierres les plus dures qui soient, comme un fil a couper le beurre. Chaque rivière a des eaux particulières ou couleurs, bruits et comportements sont relatifs a la nature de leurs sédiments, j ai souvent croise sur mon chemin des eaux dont on pouvait se demander s il fallait encore en parler comme de l eau ou bien plutôt d un élément compose d un mélange savant d eau et de sédiments, bien autre chose que de la boue, comme si cette matière se comportait elle même comme une pierre liquide, au pouvoir éminemment érosif. Ben me fait remarquer fort justement que ces rivières sont introuvables dans la cordillère des Andes, leurs eaux y sont le plus souvent limpides.

Jeudi 4 août - Bardumal > Paiju (9,5 km ; 3450 m)

Les porteurs

Ben - Reymat a offert a Bruno un t-shirt, que je porte au camp de Paiju ou nous nous arrêtons ce soir-la. Sur ce T shirt, il y a des photos de Shimshal qui célèbrent le 1er anniversaire de la route qui arrive dorénavant au village. Voyant ce T shirt, le guide d une autre expe m arrête et me demande si je suis allée a Shimshal. Non, je ne suis jamais allée là-bas mais le temps que je lui réponde, Bruno m a rejoint et déjà explique a ce guide que c est Reymat qui lui a offert le T shirt. Et le guide, il se trouve qu il vient de Shimshal et que son cousin est la aussi. Et ce cousin qui sort de la tente, c est le cousin de Qudrat qui est allé sur le Lukpe La avec Bruno au mois de juin. Les Shimshalis qui sont à Paiju ce soir-la ont donc entendu parler de la grande traversée glacière presque inédite que Bruno a entrepris en juin avec Qudrat. Shimshal, dans les montagnes de la Northern Area, c est un mot de passe, qui ouvre les portes de la grande famille que sont les Shimshalis, qui ouvre les visages de ces montagnards, rudes porteurs d altitude indispensables a la plupart des expéditions d alpinisme qui convoitent les plus hauts sommets du Karakoram. Shimshal, le mot de passe, ça nous vaut aussi du tchai et des petits biscuits a Paiju et puis aussi quelques jours plus tard au K2 base camp... et une pizza épicee et du Pepsi dans les bureaux climatises de Karavan Leaders a Lahore.

Bruno - 3 porteurs nous lâchent aujourd hui, notre guide ne semble pas paniquer et manage des primes pour la surcharge des 4 porteurs restant qui acceptent volontiers. Plus tard, nos 4 porteurs voudront nous lâcher eux aussi pour rejoindre une expédition revenant de la Tour de Muztagh, malgre leur grande sympathie a notre égard. Ils nous lâcheront finalement a Concordia 4 jours plus tard. Toutes ces désertions sont simples à comprendre. Sur le Baltoro, les porteurs d Askole ont beaucoup de travail si bien que le plein emploi y règne. Les porteurs sont d accord pour monter charges mais préfèrent ne pas prendre le risque de passer le col de Gondokoro. Plutôt que de rebrousser chemin a vide et etre payes moitié prix, ils préfèrent rejoindre les expéditions qui plient bagages, nombreuses sur les magnifiques montagnes du Baltoro en fin de saison et être bien mieux payes que pour le portage au service d une équipe de trekkeurs. Pour ces raisons, il est grandement conseiller de partir en début de saison et d Hushe si possible. Qu a cela ne tienne, notre guide très expérimente organisera a merveille la fin de notre trek sans portage, possible seulement a la condition de pouvoir porter ses propres affaires.

Vendredi 5 août - Paiju > Kobhurtse (10,5 km ; 3930 m)

Arrivee a Paiju

Ben - Ca y est, le Baltoro est un glacier. Un glacier gris, traître, qui cache sa vraie nature, qui cache sa glace. Le temps a change, après le grand beau temps, nous essuyons quelques courtes averses.

Bruno - Nous grimpons enfin sur les moraines grises du Baltoro quand le ciel tout a coup devient gris aussi. Le décor somptueux des Tours de Trango et du Paiju Peak devient tout a coup invisible, la pluie vient alourdir nos sacs, tant pis pour les tours, seules les Lobsang Spires formant une curieuse crête en V semblent épargnées par les grains.

 

Samedi 6 aout - Kobhurste > Urdukas (5 km ; 4050 m)

Vue d'Urdukas

Ben - Bruno s est levé a l aurore aujourd hui pour faire des photos, et moi, j ai regarde le soleil faire renaître le monde depuis la tente ouverte, bien au chaud dans mon duvet de plumes. Les parois autour de nous se sont élevées depuis que nous sommes partis, ce paysage d immenses parois aux formes géométriques taillées comme des pierres précieuses et baignées de soleil est un vrai cadeau. Ca y est, la montagne s offre à notre lente et douce contemplation. Et comme pour m impressionner un peu plus encore, le Baltoro s ouvre, au fond, a l horizon, sur le Broad Peak, mon premier 8000.

Bruno - Je m extirpe de mon sac de couchage à 5 heures du matin pour admirer le lever de soleil sur le paysage et me rattraper de la journée d hier. Les sommets s allument un a un : le Paiju Peak en premier puis les tours d Uli Biaho, les tours de Trango et les Lobsang Spires.

Dimanche 7 aout - Rest Day a Urdukas

"First defenders of siachin"

Bruno - Le chemin du Baltoro est parsemé de camps militaires et de stocks de carburants si bien que cette route forme un curieux ballet de trekkeurs en Bermudas, de rudes porteurs lourdement charges et de militaires armes. C est avec l un d eux que la conversation s engagea donc. Cet homme visiblement très fatigue est reste 3 mois sur la Conway Saddle, le camp militaire le plus haut du monde, positionne au bas du Gasherbrum II. Le visage très marque, les yeux injectes de sang, il nous raconte a quel point la vie est dure la haut. Il habite Chitral et retourne pour 1 mois de permission vivre dans sa famille. Il me demande si j ai paye cher pour venir ici, je lui réponds. Très étonne, il me réplique que les militaires détestent le Baltoro, synonyme de lieu sans vie, froid et inhumain. Quelle opinion contrastee avec celle qu inspire le décor somptueux que nous offrent les montagnes ici !

Lundi 8 aout - Urdukas > Goro II (12,1 km ; 4380 m)

Cadavre d'une mule sur le glacier

Ben - Temps gris et couvert, la vue est complètement bouchée, il fait froid, nous marchons sur le glacier qui est toujours gris (et qui le sera jusqu a Concordia, ce que je ne me figurais pas du tout avant de partir), ça monte et ça descend sans cesse tant ce glacier est tourmente. Je serais bien en peine d expliquer l intérêt d une telle activité a celui qui, ne pratiquant ni la marche ni la montagne, m en demanderait le sens. Ces journées d effort dans le froid et l humidité ne se justifient probablement que si elles sont precedees et suivies de journées de beau temps, sur des terrains moins rudes. Ce jour-la, c est le jour ou l on peut avancer longtemps sans s arrêter parce qu il fait froid des qu on s arrête et qu on ne voit rien, c est le jour ou l on ne se parle pas, le jour ou chacun s enveloppe dans ses propres réflexions et sait d avance qu il ne les partagera pas le soir venu, autour du repas, avec ses compagnons de montagne. Ce jour-la, parce que cela fait déjà une semaine qu on est parti, c est le jour ou je commence a me dire que les séjours prolonges en montagne sont des temps de renoncement. Nous ne sommes pas des ascètes, nous ne sommes pas prives de nourriture ni de vêtements chauds, et pour rien au monde je ne me sens à plaindre. Mais voila, il nous faut renoncer a manger ce dont nous avons envie (précisément ce que nous ne pouvons avoir, comme du poisson, une tarte au citron, du comte !!! ou un simple plat de spaghetti au beurre au lieu des chapatis et du dhal...), il nous faut renoncer au confort d une douche, d un lit... O combien ces renoncements ne représentent plus rien maintenant que je suis la, 3 semaines plus tard, dans un cybercafé de Dharamsala, a l abri de la mousson, a écouter de la bonne musique, et repue d une bonne pizza au fromage et d un vrai café ! Et pourtant que ces petits renoncements m ont coûte de raisonnables mais persistants efforts ! Comme tout montagnard un peu rêveur et naïvement optimiste, je me nourris ce soir-la, au camp de Goro II, de l espoir qu après le temps du renoncement viendra celui de la récompense.

Bruno - Sale temps aujourd hui. Nous croisons un groupe de soldats revenant du " front ", piteux sur leurs mules, enroules sous leurs couvertures visiblement transis de froid et épuises: difficile de faire le rapport entre ces barbouzes et l un des conflits les plus dangereux du monde, entre 2 nations nucléarisées. L altitude transforme ici le sang qui devient plus visqueux que le miel, la vie plus dure qu en enfer.

Mardi 9 aout - Goro II > Concordia (9,2 km ; 4650 m)

Vue vers l'upper Baltoro

Ben - J avais vu a peu près juste. La journée n a pas été extraordinaire, mais le soir, nous avons assiste, ébahis, a un coucher de soleil dans l un des décors de montagne parmi les plus spectaculaires, les plus émouvants aussi. Nous voyons enfin notre graal, le somptueux et inaccessible K2, le virginal Angel, qui semble un nain a cote du K2 mais est aussi élevé qu une Aconcagua par exemple, et puis, tout autour de nous, c est un ravissement des yeux, le Broad Peak, énorme, juste devant nous, le Shining Wall, cette face du Gasherbrum IV dont on dit qu elle capte les derniers rayons du soleil (de mon avis, c est plutôt le sommet du K2, mais bon...), le groupe du Chogolisa et très loin d ou nous venons, le Paiju Peak... Concordia, ça n est donc pas qu un mythe. C est un lieu que je souhaite à tous les amoureux de montagnes de pouvoir parcourir un jour.

Bruno - C est le mot anglais "dramatic" qui me semble le plus approprie pour qualifier l amphithéâtre de Concordia. Tant d efforts, arrives au bout du monde pour découvrir enfin les géants du Karakoram : K2, Gasherbrum IV, Broad Peak. J ai tant lu sur ces montagnes, vu tant de photos, que j avais la crainte d être déçu une fois arrive au bas de leurs pentes escarpées. J ai pourtant porte mon sac sur pas mal de montagnes, porte mon regard sur a peu près tous les 8000 de l Himalaya mais le choc est pourtant la et je me réjouis que la réputation de ces hauts lieux ne soit pas du tout usurpée, la réalité plus forte que le mythe, quoi rêver de mieux ? Je suis bien face a l un des plus beaux paysages de montagne que Dame Nature ait pu créer sur terre, peut-être le plus beau. Je suis comble.

Mercredi 10 août - Concordia / K2 base camp / Concordia (22 km ; 5100 m)

Marche a l'ombre du K2

Ben - Aller et retour au K2 base camp pour aller voir le monstre de plus près. Le temps est idéal, la moraine pour remonter au camp de base interminable. On longe la base du Broad Peak pendant des heures. C est bon de se sentir si peu de chose dans cet univers où nous ne pourrions pas survivre et en même temps de se sentir bien en vie et bien dans cette vie-la.

Bruno - Nous traçons ce jour les 22 kms A/R en direction du camp de base du K2. Comme sur un chemin de pèlerinage, nous avançons sur la moraine centrale du Baltoro et prenons la mesure de l énormité du paysage. A Concordia, le K2 semble a portee de main, après 4 heures de marche, nous arrivons péniblement au pied de ses énormes flancs ! "La montagne des montagnes", "la montagne sauvage", toutes ces expressions prennent soudainement sens. Autant le Broad Peak peut se comparer de loin a l énorme masse de l Annapurna, le Gasherbrum IV a un Nuptse, je cherche et ne trouve aucune comparaison a faire avec ce que ce que je peux voir du K2. Nous arrivons au pied de la montagne, tout ici n est que roche et glace et inspire un profond respect.
Nous allons plus tard discuter avec quelques membres d expéditions ici présentes et saluons au passage Mehrban Shah, l un des grimpeurs pakistanais les plus expérimentes, embauche comme porteur d altitude dans une expédition japonaise. Aucune expédition n a réussi a atteindre le sommet cette année, l expédition danoise est pourtant restée 3 mois au camp de base, espérant profiter d une fenêtre météo mais rien a faire, le temps a ete trop mauvais cette année et la montagne trop sauvage. Fouler le sommet K2 demeure l un des plus grands exploits sportifs de notre temps.

Jeudi 11 août - Concordia > Ali Camp (9,5 Km ; 4900 m)

Au dela du Marble Peak

Ben - Quel n est pas mon bonheur quand Islamuddin, notre guide, nous propose de partir pour Ali Camp et le col bien que nous n ayons plus de porteur. Banco, nous partons a 4, Islam, Abbas le cuisinier, Bruno et moi, avec nos sacs, le coeur léger et impatient de voir enfin ce col que les porteurs semblent tant redouter. Bonheur redouble par celui que je ressens en voyant que nous nous approchons aussi d un glacier, le Vigne Glacier, qui lui, n est plus gris, mais bien recouvert de neige, prélude a notre ascension parmi les seracs sur les pentes enneigées qui mènent au Gondogoro La. Drôle de bonheur soudainement voile d angoisse : le Vigne Glacier est crevasse, nous sommes partis tard, le soleil chauffe, la neige est molle et les petits ponts de neige que la trace emprunte ne tiennent pas. Je me figure des dangers qui, s ils ont une petite part de réalité, sont très largement amplifies par ce mauvais souvenir qui vient brutalement me troubler, ma chute dans une crevasse sur les pentes du Pisco il y a 3 ans. Si j avais la corde, je crois que je demanderais a Bruno qu on s encorde ; je maudis Islam de nous avoir devance parce que c est lui qui porte la corde. Quand me débarrasserai-je de ce démon ? Lorsque nous devons enjamber une petite crevasse, je ne peux m empêcher de m attarder sur l un de ses bords et d y plonger un regard malsain a la recherche dans ce souffle bleute et froid qui me procure comme une sensation de vertige, m épouvante et m attire a la fois. Nous arrivons sans mal à Ali Camp, ou je peux constater que personne ne s encorde sur ce glacier. Je demeure persuadée, a posteriori, qu il s agit probablement de la portion la plus délicate du parcours (avec la descente du col), et que le Vigne Glacier, tout débonnaire qu il soit, peut présenter les dangers classiques du glacier crevasse et (peu) enneige.

Bruno - Les porteurs nous ont donc lâche, nous en recrutons 2 jusqu à Ali Camp en désespoir de cause. La montée se fait sur la glace puis dans la neige jusqu a 4900 mètres. L espace exigu d Ali camp est un dépotoir, difficile d y planter sa tente dans un endroit propre. Nos esprits en soif d idéal, de nature vierge, d absolue beauté supportent mal la vue de ces détritus et déjections. En y réfléchissant, nous sommes nous-mêmes indirectement générateurs de cette pollution : nous dégustons des ananas en boite au dessert ce soir, au delà de ce plaisir gustatif bien improbable a cette altitude, ou va finir la boite de conserve ? Je décide de la porter jusqu a l arrive de ce trek et aimerait encourager chacun des touristes a en faire autant. On peut imaginer combien de boites il faut pour satisfaire l appétit des 20 trekkeurs ici présents, en combien de jours ce lieu idyllique peut être transforme en dépotoir, très peu vu l affluence touristique ici.

Vendredi 12 août - Ali Camp / Gondogoro La (5620 m) / Xhuspang (8,5 km, 4680 m)

Mauvais temps

Ben - Pour passer le col, nous prenons toutes les précautions d usage, parce que la voie zigzague dans l univers tourmente des crevasses et des seras. Nous partons a une heure du matin, il ne fait pas froid malgré l altitude parce que le temps est très nuageux, ce qui nous oblige a marcher a la frontale quasiment jusqu au col et ce qui nous empêchera aussi de voir quoique ce soit une fois au col, qui nous accueille par une tempête de neige ! Si la montée n est pas technique (quelques sections sont a 50 degrés, mais équipées de très bonnes cordes fixes) et nous a pris quelques 4-5 heures, en revanche, la descente s avère longue, pentue et les cordes fixes et les crampons nous ont considérablement facilite la tache. A ma grande satisfaction, le Gondogoro La respecte ce que j appelle la magie des cols : passer un col, c est changer de vallée, changer de paysage, parfois changer de pays. Et ce que nous voyons depuis les pentes du Gondogoro La, au loin mais pas si loin puisque c est la que nous allons planter notre prochain camp, oui, ce que nous voyons, ces taches vertes au bout de la moraine, c est bien de l herbe, une herbe qui s avère, quand nous la foulons un peu plus tard, touffue, grasse et constellée de mille fleurs dont les vives couleurs ravissent nos sens après la longue traversée du Baltoro si minéral, si désertique, si étranger a toute vie animale ou végétale. J arrive à Xhuspang épuisée mais heureuse d avoir passe ce joli col sans encombre... et sans mal de tête !

Bruno - C est à la lumière de nos frontales et des lampes a gaz que la caravane formée de porteurs et trekkeurs s ébranle. Il est 1 heure du matin, la nuit est sans lune, il fait nuit noire et les porteurs nous demandent d éclairer la trace dans la neige. Personne ne s encorde, nous avons des crampons aux pieds, les porteurs des chaussettes portées par dessus leurs chaussures en plastique, sensées agripper la neige. Leur équipement est ultra précaire, ils sont toujours lourdement charges et ne peuvent compter que sur leur agilité pour prévenir la glissade. Je comprends désormais pourquoi ils hésitent à passer le col d autant que c est un peu Beyrouth dans la montée et la corde fixe qui équipe la descente semble bien peu de chose. Malgré tout, ils vont très vite et font preuve d une agilité toujours plus surprenante. Avant d arriver au camp de Xhuspang, le chemin est curieusement semé de vieilles chaussettes dont les porteurs se débarrassent, d ailleurs toujours aussi peu motives par des considérations écologiques. Voila comment on fait de la montagne au Pakistan, avec des vieilles chaussettes, me dis-je.

Samedi 13 aout - Xhuspang > Shaishcho (16 km ; 3330 m)

Face sud du Masherbrum

Ben - Habituellement, les descentes sont un peu douloureuses parce qu on laisse la fatigue, accumulée les jours précédents, s exprimer, un peu tristes parce qu elles signifient le retour dans la vallée, et aussi un peu joyeuses parce qu enfin on va pouvoir la prendre, cette douche (quoique, ça dépend du village dans lequel on arrive !). Or voila qu après le Gondogoro La, la magie ne finit pas, parce qu on marche pendant des heures sur la rive opposée au massif du Masherbrum et que ce massif et ses multiples sommets tous plus inaccessibles les uns que les autres sont un pur ravissement. Et puis, après quelques heures supplémentaires sur un glacier mal commode, on marche sur un joli sentier fleuri et l on croise ce que Bruno m apprend être des yoz, des belles et paisibles bêtes issues d un croisement vache / yak.

Bruno - Les bactéries ont pris en otage mon système digestif, le coeur n y est pas et je traîne ma carcasse sur des chemins pourtant idylliques, no comment…

Dimanche 14 aout - Shaishcho > Hushe (9,3 km ; 3050 m)

Vallee de Charakusa

Ben - Depuis le joyeux et clément camp de Saishcho s ouvrent la vallée qui descend vers Hushe, et a gauche, celle qui monte vers les camps de base des K6 et K7. Cette partie de notre randonnée semble pleine de promesses, que nous ne pourrons honorer cette année mais qui nourrissent déjà des phrases au futur, qui créent a nouveau le désir du voyage a pied a travers les montagnes du Karakoram, qui sont comme un (r)appel, un appel sans fin tant ces contrées aux confins du Pakistan sont immenses.

Bruno - Le chemin devient très facile, une rapide incursion dans la magnifique vallée de Charakusa puis retour sur Hushe ou l on admire des Big Wall (je demande a un guide local comment ils s appellent, il me répond les "Trango Brother") et le coucher de soleil sur l énorme face sud du Masherbrum (7821m). C est pourtant un peu avant d arriver a Hushe que survient le vrai choc de la journée : nous nous glissons sous la tente d une famille de chercheurs d or Gujars, l accueil y est chaleureux et le spectacle étonnant. Un dénuement extrême règne sous la tente de cette famille de 12 enfants (le dernier avait 15 jours), un poele a bois, une lampe a pétrole et une petite radio comme unique richesse. Notre guide fait la traduction et j en profite pour poser des questions, je suis sidere. La famille parcourt les rivières du Nord Pakistan, de Shimshal a Peshawar, tout comme les 2000 a 3000 membres de leur grande famille : ces nomades appartiendraient tous au même noyau familial. Il suffirait de 200 a 220 grammes d or récolte par an pour que cette famille y trouve son compte mais les quantités d or récoltees sont loin d être constantes d une année sur l autre et ne peuvent être que de 50 grammes pour toute l année. De l avis général, la rivière Shimshal est la plus prolifique. L hiver est la meilleure saison pour trouver de l or (75% de la récolte annuelle m assure-t-on) mais les conditions de travail y sont inhumaines : il faut souvent travailler des journées durant a l ombre des montagnes dans le gel, les mains souvent dans l eau, les gants étant bien insuffisants pour atténuer le froid glacial.
J obtiens un rendez vous pour le lendemain matin avec le chef de famille, l homme me promet une démonstration de son savoir faire.

Lundi 15 août - Hushe > Skardu

Bruno - Tôt le matin, la famille m accueille a bras ouverts et m offre du pain, du thé et des oeufs poches. Puis nous partons en direction de la rivière en compagnie des enfants. Je découvre les outils grâce auxquels de l or sera extrait de la rivière. J ai du mal a y croire : tamis, batée, racleurs, passoires, écuelles... après 20 minutes d efforts savants et grâce a un savoir-faire qui remonte a la nuit des temps, je vois au fond de la batée s extraire parmi les graviers de la rivière des pépites briller au soleil, certes petites mais il s agit d or m assure-t-on. L homme me dit avoir trouve un jour une pépite de 100 grammes vers Shimshal !
Plus tard, nous reprenons la route, les big walls anonymes de la vallée de Nangmah nous saluent du haut de leurs milliers de mètres d a pics, je leur dit au revoir. Cette vallée encaissée sera probablement ma prochaine destination.


Coup de pouce !
Ce trek a été réalisé par une sympathique agence de trekking située à Gilgit, Walk and Ride Pakistan est son nom. Cette agence est spécialisée dans les randonnées à cheval ou à pied comme son nom l'indique. Simone, le fondateur italien de cette agence est l'un des meilleurs spécialistes du Nord Cachemire.
Walk and Ride Pakistan est assurément une très bonne adresse !


 

 


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