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TREK
BIAFO HISPAR
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Avant propos
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Islamabad dans l'agitation des
rues. L'un des nombreux camions super kitch Bedford made in Pakistan.
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Ce trekking, jen ai rêvé des années durant.
Sur la carte, tout est évident : les glaciers du Biafo et dHispar
coupent le Karakoram en 2, écartant de part et dautre quelques
unes des plus belles montagnes du monde, une voie royale pour un trek
de rêve. Remonter le glacier de Biafo (64 kms) et descendre celui
dHispar (58 kms) en passant par le col du même nom, cest
la randonnée glaciaire par excellence. Mes lectures sur cette
région ont toutes fait léloge de la beauté
des paysages. Après une première visite en 1997, je suis
revenu du Pakistan en 2000 enthousiaste, en ayant pour objectif ce trek.
Mais comment ? Par manque dinfrastructures touristiques, il est
plus difficile de trekker au Pakistan quailleurs. Au cours de
ma première expérience, jai pu rassembler de précieuses
informations à propos du trekking au Pakistan et tester les possibilités
dy monter un trekking personnel.
Je suis donc reparti en 2000, seul, sans préparation sur place,
mais avec beaucoup de motivation, mon expérience de trekking
en poche. Jai mis un point dhonneur à monter cette
expédition moi-même par souhait d'autonomie dabord,
mais également par souci financier. Je voulais réaliser
un trekking à la carte, ne pas membarrasser de contraintes
dopinion avec une agence de trek locale et donner mon argent aux
locaux sans intermédiaires superflus. Le risque principal était
de me tromper sur le guide. Je savais que je trouverais un guide sur
place mais le risque était grand de tomber sur une « cabane
», cétait le cur du problème : un bon
guide est dabord un guide avec qui le feeling passe parfaitement.
Il fallait trouver quelquun avec qui jallais tisser une
réelle relation de confiance. Pas vraiment aisé quand
on débarque de Paris, quand le temps est compté, quand
on ne connait personne sur place, dans un pays réputé
difficile, éloigné du notre à tous en tous points.
Le guide doit aussi savoir organiser une équipe et tout ce qui
lui est nécessaire (nourriture, transport
), il doit aussi
connaître la route, bien sûr. Enfin, les porteurs dont il
a la charge doivent le respecter. Javoue quen la personne
de mon guide Hassan, le cahier des charges a été largement
respecté.
A travers mes amis que vous allez découvrir au fil du voyage,
vous ferez connaissance avec le Pakistan et ses rudes montagnards qui
travaillent très dur sans être toujours très bien
récompensés, pour le plaisir de quelques nantis.
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Lundi 7 août - SKARDU - voyage - soleil !
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L'indus, tantôt calme,
tantôt furieux ne laisse qu'un frêle passage dans
la vallée à la route menant à Skardu. Le
Premier ministre est en visite dans la ville, la foule est attentive
à son discours.
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Je décolle de Paris samedi à 11h30 pour arriver le dimanche
à 6 heures du matin à Islamabad. Je file vers le bus stand
pour attraper un bus local. Le long voyage sur la Karakoram Highway
déchaîne une fois de plus ma passion, un vrai pèlerinage.
Cette route construite jusquen Chine entre 1968 et 1982 sest
ouverte au monde en 1984, 5000 hommes y périrent au travail,
la route devait passer à tout prix entre les 2 pays alliés
contre lennemi indien. Dabord stratégique, elle est
devenue peu à peu un lieu commercial crucial pour le pays. Sans
cesse, des cohortes de camions bariolés font la route vers la
Chine et en reviennent chargés. Grâce à léchancrure
sabrée par lIndus à travers lHimalaya, la
route la plus haute du monde se faufile jusquaux contreforts du
Karakoram. Puis bifurquant brusquement vers lEst, sengage
vers des gorges séparant lHimalaya du Karakoram. De bout
en bout, la vue est bouchée par des hautes parois de plusieurs
milliers de mètres, le massif du Haramosh (7409m) tout près
reste invisible. Jarrive épuisé lundi à 19
heures à Skardu, jai cassé mes lunettes à
cause des trépidations du bus mais quà cela ne tienne,
elles ne mempêcheront pas dorganiser au mieux et sans
tarder mon trekking. Je bois un coca et je mendors dans un hôtel
crasseux en rêvant de la vue sur lénorme face Nord
du Nanga Parbat appelée aussi la mangeuse dhomme, qui maura
une fois de plus ému. Je suis enfin arrivé à mon
camp de base après seulement 3 jours de voyage.
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Mardi 8 août - SKARDU - préparatifs
du trek - soleil !
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Au loin, la tempête de
sable tourbillonne.Skardu est construit sur un formidable cône
de déjection.
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Je me réveille à 7 heures, je file au breakfast et fais
connaissance avec un groupe de 6 Allemands qui reviennent tout juste
des tours de Trango. Ils ont tous atteint le sommet, ce qui mimpressionne
beaucoup. Je ne souhaite pas confier lorganisation de mon projet
à une agence locale donc je me donne 3 jours maximum pour établir
des contacts et récolter des informations, me nourrir de conseils
sur les prix, le matériel, la nourriture, les fournitures nécessaires.
Quant au guide et porteurs, je les embaucherai directement sur place
à Askole, point de départ de litinéraire.
Trouver un guide sera la clé du problème, je le sais,
le destin fera le reste. Les Allemands mindiquent un très
bon guide, je suis intéressé pour le rencontrer, la journée
ne pouvait pas mieux commencer.
Dans la ville, très vite je fais connaissance avec M. Mazaar,
vendeur de cristaux et dantiquités arrachés aux
vieux temples bouddhistes encore debout dans la région. Il sest
occupé de mes lunettes et en a trouvé des neuves. Il est
originaire du Punjab et il est novice en matière dexpédition
en montagne mais il se propose de maider. Je le crois honnête
et volontaire, il savérera déterminant dans ma recherche.
Déjà, mon projet daller à Askole et dy
recruter directement mon guide et mes porteurs sécroule,
les check point disposés sur la piste refoulent illico les occidentaux
solitaires, il faut donc que jy aille accompagné dau
moins un guide recruté ici à Skardu mais comment recruter
un type du coin qui connaisse bien les glaciers de Biafo et Hispar ?
Demander à une agence, sûrement pas ! Laffaire se
corse sérieusement.
M. Mazaar connaît des guides, jen verrais 3 aujourdhui
par son intermédiaire mais je doute de leur efficacité,
ils ne parlent pas anglais, hésitent quant à la quantité
de nourriture à emporter par exemple. Un prétendu guide
me présente une photo du Gondogoro pass mais par malchance pour
lui, je connais ce col et cette photo nest pas celle de ce col...
Le soir, nous allons avec M. Mazaar dans un boui-boui du bazar où
les guides et porteurs de retour dexpédition ont lhabitude
daller manger. Le dîner est sympathique, je suis entouré
de rudes gaillards, tous des porteurs de haute altitude mais peu parlent
un anglais correct. Je récolte néanmoins toujours des
infos de la bouche de mon ami qui traduit.
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Mercredi 9 août - SKARDU - préparatifs
du trek - soleil !
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Les enfants sont curieux devant
l'objectif.
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La journée commence en fanfare lorsquun dénommé
Hassan déboule dans ma chambre non verrouillée, à
6 heures du matin. Comme les Indiens, les Pakistanais nont pas
forcément le sens de lintimité et de la propriété
privée, je lai souvent constaté. Je me réveille
avec difficulté et furieux, je renvoie cet inconnu planté
au milieu de ma chambre, jai besoin de dormir ! Hassan est en
fait le guide des Allemands, il venait se présenter, certificat
officiel de guide en main. A 8 heures, un type rencontré hier
arrive à moi et en colère. Il maccuse de lavoir
court-circuité, ce qui est un peu vrai puisque je lui avais promis
de le rencontrer hier soir. Il parle tout de suite argent, il est pressé
: cest bon, jai compris... Au tour du patron de lhôtel
maintenant, lui aussi me fait vraiment mauvaise impression, il nen
veut quà mon argent. Jai les jambes mangées
par les puces, je lui conseille dacheter un aspirateur... Hassan
revient à la charge, mais non vraiment, je ne peux pas lécouter,
jai rendez-vous à 9 heures chez M. Mazaar pour rencontrer
dautres prétendants. Toute la matinée, je menrichis
encore de précieuses informations.
Je verrais Hassan le soir. Il parle un anglais correct, il est calme
et disposé et déjà, je le crois dénué
de mauvaises pensées. Je le questionne sur des détails
simples de logistique et il répond de façon cohérente,
il est crédible et ses prix sont corrects. Il fournit la tente
et le réchaud à kérosène. De plus, il me
dit quil habite Askole, lieu de départ de notre périple.
Cependant, suite à lincident de ce matin, il ne gagne pas
encore totalement ma confiance.
Aujourdhui, je fais le tour des agences pour avoir leur point
de vue sur la question. Leurs prix sont de 50 à 500 % plus chers
que celui que je me suis fixé. Une agence nhésite
pas à me proposer une cohorte de 34 porteurs, de 2 cuisiniers
et 1 guide, ce qui fait 37 personnes à transporter, nourrir et
payer !!!! Dépité, je reviens le soir voir M. Mazaar.
En voyage, le destin fait toujours une pirouette au moment les plus
inattendus : dans la boutique, je vois mon ami M. Mazaar discuter avec
Hassan, ils sont amis ! Sans tarder, jexplique à M. Mazaar
les négociations « secrètes » avec Hassan.
M. Mazaar me rassure à propos dHassan, il dit quil
est bon guide. Droit dans les yeux, je lui demande si je peux lui faire
confiance, il me répond « atcha ! » (oui !) : ses
yeux sont sincères, je suis convaincu, jai trouvé
mon guide. « Mektoub ! ».
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Jeudi 10 août - SKARDU - préparatifs
du trek - temps couvert :
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Le polo, un sport très
pratiqué après le cricket. En route pour Askole
!
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La journée est consacrée aux emplettes. M. Mazaar nous
accompagne, il marchande tous les prix, des assiettes, casseroles, bougies,
cocotte minute ou allumettes. Hassan soccupe de la nourriture,
du kérosène et du transport. Le temps est mauvais, une
tempête de sable vient même sabattre sur la ville
mais le moral est au beau fixe : demain matin à 5 heures, nous
partons pour le village dAskole !
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Vendredi 11 août - ASKOLE (3050m) - pluie
et soleil :
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Un vieux d'Askole et la maison
d'Hassan mon guide d'Askole
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Après un « au revoir », je quitte M. Mazaar et
nous partons comme prévu à 5 heures du matin de Skardu.
La jeep est pourrie mais elle tiendra le coup, on fait vite confiance
ici à ces véhicules dune robustesse plus que douteuse.
La piste est superbe, elle zigzague entre les oasis, les dunes de sable,
les dépôts morainiques énormes, les pierriers et
les rives de la Braldu presque paisible. Lhorizon est masqué
par les pics enneigés et les glaciers qui nous tendent leurs
bras. Puis, les moraines se font moins épaisses, le blanc de
la neige prend le pas, les sommets se font plus effilés, on est
arrivé au bout de la piste. Ensuite, après 2 petites heures
de marche, nous arrivons à Askole, tranquilles et heureux. Hassan
et moi, nous nous entendons à merveille.
A Askole, les gamins nous réservent un accueil mitigé,
les femmes se cachent mais ne sont pas voilées. Je suis reçu
en grande pompe dans la maison de mon guide, jen suis honoré.
Nous buvons le thé puis Hassan insiste pour que je reste à
lintérieur. Rien ny fait, je ne suis pas venu jusquici
pour rester à croupir entre 4 murs. Je sors, quelques gamins
me brisent le cur en me lançant des pierres. Je suis étonné
de cet accueil, je ne suis pourtant pas au bout du monde ici, des centaines
dOccidentaux passent chaque année par ici pour aller à
Concordia. Cependant, le village est beau, baigné dans la verdure
des champs irrigués, une beauté qui cache pas mal de souffrances.
Les conditions de vie sont rudes : le fumier traîne dans les rues
et les enfants en bas âge aussi, je nose pas imaginer ce
que ça doit être ici lhiver : 50 % de mortalité
infantile ici, pas moins. Les hommes et les femmes travaillent dur et
paraissent 2 fois leur âge. Il y a un dispensaire en construction,
généreusement offert par une Italienne. Un homme du village
mexplique que les dons versés à ladministration
sélèvent normalement à 300 000 roupies mais
que seulement 18 000 roupies ont été reversées
pour la construction. « In Pakistan, administration no good !
» me dit-il. Il y aurait bien besoin dun dispensaire mais
la construction sest arrêtée faute de moyen.
Le soir après le repas, emprisonné dans ma chambre, jentends
derrière la fenêtre le mollah réciter des prières.
Je préfère finalement les atmosphères bouddhistes
des villages népalais à lambiance de ce village.
De toutes façons, il fait noir maintenant et je nai plus
vraiment envie de sortir.
Hassan vient dans ma chambre et me dit quil a changé dopinion
: nous ne prendrons pas 6 porteurs comme nous lavions prévu
(6 jusquau col puis 2 à retourner sur leurs pas sacs à
dos vides) mais 4 seulement qui nous accompagneront jusquau bout.
Les charges seront donc plus importantes pour chaque porteur, je négocie
une prime de 1000 roupies supplémentaire pour chacun deux.
Marché conclu !
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Samedi 12 août - NAMLA (3690m) - 5 h. de
marche - temps couvert :
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Je me réveille à 7 heures sans excitation, jai
vraiment bien dormi. Hassan mapporte un tchaï avec des Paratas
très sableux, une spécialité du coin. Aucun rayon
de soleil ne passe à travers les vitres fumées : «
bad weather » me dit Hassan. Je sors un instant, le ciel est laiteux,
un temps qui ne me dit rien qui vaille. Je vais dans la pièce
centrale, la femme dHassan se réfugie dans le grenier à
grains. Je découvre les porteurs, Ali, Mohammed, Rasoul et Hassan
bis, ils sont déjà presque prêts. Hassan mon guide
insiste pour me prendre mon sac mais je tiens à porter mes 12
petits kilos. Rapidement nous partons, un gosse nous attend à
la sortie du village pour nous bénir avec de la farine de blé.
Sur le chemin, nous croisons une expédition revenant du Panmah
glacier, encore un vieux rêve
Eh, garçon ! Réveilles-toi,
tu y es dans ton rêve de gosse, tu en prends le chemin !
Le chemin est plat puis bifurque vers le Nord pour monter jusquà
un petit col sur la moraine du Biafo. Tout à coup, je découvre
le monstre : le Biafo est immense, nous accueille par le vrombissement
sourd et incessant des « rollings stones », il nous offre
sa langue de glace en soufflant sur nous son haleine glaciale. Je reste
assis, stupéfait. Je découvre avec appréhension
la difficulté du terrain, les pierres sont énormes et
innombrables, le monstre ne se laissera pas approcher facilement. Vers
lamont, la brume se mêle aux gris des pierres, le plafond
est bas, jai froid.
Nous dévalons volontiers la moraine instable puis nous gagnons
le pierrier. Jai la pêche mais mes jambes de citadin sont
encore peu souples. Tels des funambules, mes porteurs lourdement chargés
(30 kg) basculent de pierre en pierre, quant à moi, mes semelles
high tech « Vibram » me sauvent tout juste du ridicule.
Ils ont tous participé à des expés sur le K2 et
sont tous montés au camp IV, sur larête des Abruzzes
à 7400m daltitude ! Je me prosterne devant leurs performances.
On monte, on descend, jenjambe, je ripe, je glisse, je dérape
et mépuise, la marche sur glacier nest pas vraiment
ma tasse de tchaï, cest pourtant ce qui mattend pendant
2 semaines, lexercice est excellent et nous ferons souvent des
pauses, me dis-je. Nous marchons soit sur la glace du Biafo, soit sur
ses abords morainiques. Déjà, la glace vive se fait plus
présente, nous gagnons en altitude, nous arrivons à Namla
à 14 heures, ce qui nous laisse de belles heures pour profiter
du coin.
Le ciel est changeant, ce qui donne de beaux effets dombres et
de lumières sur le Dongbar (6282m) et le Bullah ( 6294m), les
sommets remarquables des alentours. Tout à coup, une énorme
chute de pierres roule au-dessus de nous, nos yeux inquiets se lèvent
au ciel, les montagnes sont vivantes ici ! Namla est un alpage assez
vert, un pâturage pour les yaks. Les niveaux de végétations
sont respectés, mis à part quil y en a un supplémentaire
par rapport à la latitude des pays tempérés : la
steppe désertique. Quand les terrains ne sont pas irrigués,
il faut monter à 3000 mètres pour trouver les premiers
brins dherbes. Plus haut, quelques grasses prairies, quelques
résineux torturés par la sécheresse poussent puis
retour à la pierre nue avant la glace. Au loin, au sud-est, deux
superbes montagnes dune blancheur extrême se détachent
dans la lumière du soir, le Mandu Peak au Nord et Chikang Peak
au Sud, deux 7000 oubliés et encore vierges, me dit Hassan. Jai
beau les chercher sur ma carte, je ne les trouve pas. Rasoul ramène
un bouquet de fleurs et des groseilles : mais où a-t-il bien
pu trouver ces merveilles dans cette clairière au milieu de cette
forêt de pierres ? Je sais désormais que cette randonnée
se passera bien, je suis aux anges.
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Dimanche 13 août - MANGO (3800m) - 4 h. de
marche - pluie et soleil :
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La face Sud du Latok zoomée,
pareil au Cervin. Petite pause dans les pierres du Biafo.
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Le soleil alterne avec quelques averses sporadiques. Qui peut prévoir
le temps quil fait ici à cette saison ? Nous marchons toujours
parmi les pierres en gneises et en granit, les plus dures qui soit.
Je mamuse de leurs couleurs blanches, grises, orangées,
parfois vertes ! Celle-ci provient-elle du Latok ? Celle-ci du Baintha
? Les pierres sont innombrables et la marche est épuisante, je
suis très juste physiquement dautant que mon appareil digestif
est fortement perturbé ce matin. Tout à coup, par manque
de concentration, je grimpe sur une pierre qui bascule sous mes pieds
et vient taper pile sur mon genou gauche, je tombe et jhurle.
Ce nest pas grave
Mais ça aurait très bien
pu lêtre
Je décide daller moins vite,
je reprends la marche en boitant. Hassan me dit alors « your shoes
are not good » et me montre ses baskets raccommodées. Je
lui rétorque alors que le problème ne provient pas de
mes chaussures mais de mes jambes. Hassan me suit maintenant, il est
bon guide, linterface idéale entre moi et les porteurs
: ceux-ci ne parlent pas anglais, la communication eavec eux passe obligatoirement
par Hassan. Un bon guide nest pas seulement un guide qui connaît
la route, cest aussi et avant tout un guide qui ordonne et qui
se fait respecter.
A midi, nous arrivons à Mango après seulement 4 heures
de marche. Tout comme Namla, Mango est une prairie daltitude pour
les yaks, difficile dimaginer des yaks se mouvoir dans toutes
ces pierres, les bêtes sy brisent souvent les pattes, me
dit Hassan et jai bien failli faire comme eux aujourdhui.
Pour célébrer lindépendance du Pakistan,
je plante ma canne dans le sol et y hisse le drapeau Pakistanais que
javais précieusement caché dans le fond de mon sac.
Hassan vient maider, le drapeau flotte maintenant avec nous au
milieu des montagnes, je crois quils en sont très fiers.
La glace vive et blanche apparaît au loin à la surface
du glacier, encore plus loin en amont, mon premier grand choc : la formidable
silhouette du Latok I (7151m) se dégage et apparaît dans
la lumière du crépuscule. Tel un fantôme, sa face
Sud savance avec élégance en surplomb du glacier,
sa face Nord quant à elle sefface dans un grand ballet
de nuages affolés. Cette pyramide parfaite me fait penser irrémédiablement
au Cervin. Quelle force tellurique a pu monter cette roche au-dessus
des cieux ? Je reste muet.
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Lundi 14 août - BAINTHA 1 (3990m) - 7 h.
de marche - pluie et soleil :
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Le groupe des Latoks et du Baintha
s'illumine sous le soleil matinal.
Les prairies sont encore fleuries à cette altitude.
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Tôt le matin, je grimpe à perdre haleine sur la moraine
du Biafo et vais observer à nouveau le Latok I. Le soleil se
lève sur les groupes du Latok et du Baintha réunis. Leurs
sommets saupoudrés de neige fraîche sont maintenant débarrassés
de nuages. La vue est prodigieuse, le granit orange si particulier du
Baintha brakk (7285m) crève lécran, je suis en face
dun des plus beaux spectacles naturels de la planète, cest
de lart ! Je prends quelques photos et je redescends, enthousiaste.
Ce soir, nous serons à ses pieds.
Nous traversons le glacier et marchons désormais sur la glace
vive et rugueuse. Le coin est sublime. Nous enjambons de temps à
autre quelques belles crevasses, elles ne sont pas plus difficiles à
sauter que les trottoirs de Paris, le Latok en point de mire remplaçant
la tour Eiffel. Le chemin grimpe maintenant sur les versants abrupts
de la rive opposée, exposés plein sud et nous arrivons
à Schafung où nous nous arrêtons pour manger. Schafung
nest pas un pâturage pour les yaks, trop loin, trop difficile
daccès pour les bêtes, ce qui permet aux plantes
de pousser tranquillement sans se faire manger. La flore est explosive
ici, le sol est un tapis de fleurs de formes et de couleurs variées.
Il est plaisant de constater quen montagne, le milieu végétal
prend le dessus sur le milieu minéral dès quil le
peut, recouvre les pierres sans vie de couleurs bigarrées : toutes
ces fleurs ne sont-elles pas là pour offenser la force brutale
et insultante des éléments environnants ? Ce nest
pas un combat inégal : les fleurs aiment la montagne, cest
le plus bel affront quelles peuvent lui faire.
Nous repartons pour rejoindre en 2 heures le lieu de campement Baintha
I. Le coin est conforme à mes rêves de montagne les plus
fous : des glaciers énormes, des orgues et des cathédrales
de pierres dont je ne connais pas les noms, ma carte non plus dailleurs.
Le temps saméliore peu à peu et ce soir, la nuit
est claire et étoilée, cest magnifique même
la nuit. Je nai pas les symptômes du mal des montagnes mais
nous resterons quand même ici demain pour sacclimater à
laltitude et profiter du coin.
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Mardi 15 août - BAINTHA 1 - soleil !
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Marche aisée sur la glace
du Biafo. Quelques montagnes sans nom, les admirer est un régal.
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Comme je naime pas les crises de foie ! Je connais le coupable
: le thé salé Balti nest pas passé hier soir.
Le sel nest pas en cause mais plutôt la préparation,
ils ne lont pas fait bouillir ! Je me réveille malade à
8 heures et me traîne dehors toute la matinée sans appétit,
impossible davaler quoique ce soit, pas même une gélule
réparatrice. A 1 heure de laprès-midi, nous décidons
tout de même de partir près du sanctuaire du Baintha. Hassan
prend mon appareil photo et ma gourde. Au bout dune interminable
marche de 2 heures, nous jarrive exténué au pied
du Baintha brakk, de lUzun brakk et des Latoks réunis.
Mon esprit se ranime subitement. Nous restons 3 heures sur place appareil
photo en main, Hassan sendort à coté, quant à
moi, je ne me lasse pas et reste éveillé jusquau
soir devant ces tours de purs granits. Je me souviens de mes lectures
et je me remémore la célèbre tragédie qui
a failli coûter la vie à Scott et Bonnington. Doug Scott
se brisant les 2 jambes juste au-dessous du sommet, le malheureux est
redescendu à 4 pattes jusquau camp de base avec laide
de son équipier Chris Bonnington, atteints de 2 côtes cassées
et dune pneumonie, un calvaire qui dura 8 jours dans le mauvais
temps ! Je parcours des yeux la distance
Ma crise de foie est
bien dérisoire comparée à cette tragédie
et je me prends à rire.
Je vais mieux et regagne le campement complètement « vidé
» mais rempli de joie. Mon appétit retrouvé, jénumère
dans mon esprit les aliments qui me feraient plaisir : coke ? porridge
? chocolat ? inutile dinsister, il ny en a pas dans le frigo...
Euréka ! javais acheté un paquet de spaghettis à
Skardu au cas ou ! Spaghettis, oignons, green tee, je suis sauvé
!
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Mercredi 16 août - MARPOGORO (4410m) - 5
h. de marche - soleil !
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Un sommet inconnu se révélant
à la lumière de l'aube. 2000 mètres sous
les sommets de quelques flèches de granit.
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Il gèle jusque dans ma tente ce matin, je commence à
comprendre pourquoi ce trek est difficile à réaliser après
septembre. Nous commençons à marcher à 8 heures.
Pour la première fois, en marchant, tout le monde est grave,
pas un chant ne vient perturber le bruit des chaussures sur la glace.
Mohammed dhabitude attendrissant, Rasoul et Ali serviables, Hassan
bis jeune et fougueux, tous sont méconnaissables, seul Hassan
qui dhabitude a la contenance du prêtre tibétain
est en cohérence avec lenvironnement. Je crois ne jamais
avoir vu un milieu aussi déprimé, il nous imprègne
au plus profond de nous-mêmes, il incite à la méditation,
à lintrospection. Je regarde à lhorizon si
japerçois des ours. Il ny a plus dours ici,
il en subsiste dans le Nord, sur le Panmah glacier et au-delà
me dit Hassan.
La journée se passe sur la glace jusqu'à Marpogoro, un
lieu abrité derrière la moraine où les fleurs ne
poussent plus guère. Nous plantons la tente au pied dune
colonne de granit sans nom. Laplomb fait approximativement 1500m
de vide, cest prodigieux ! Cette flèche de granit na
rien à envier aux célèbres tours de Trango ou dUli
Biaho. Hassan me dit quen 1997, il est venu avec Philippe et Alberto,
2 espagnols venus tenter le sommet. Après 1 semaine dans le mauvais
temps, les infortunés reviendront au camp de base mais pour rendre
hommage aux bons services dHassan, ils baptiseront ce sommet Hassan
Peak ! Je mempresse de lécrire sur ma carte qui nest
finalement rien dautre quun brouillon. Ceux qui croient
que laventure alpine est révolue sont peu informés
de ce qui se passe ici ou plutôt plus justement, de ce qui ne
se passe pas : tant de pics, tous plus beaux les uns que les autres
et sans nom, jamais gravis, vierges ! A croire que les expéditions
se dirigent toujours à tord je crois vers des lieux connus et
clinquants, en priorité sur les quatorze 8000 de la planète,
porteurs de renommée pour les grimpeurs et de poids médiatique
pour les partenaires commerciaux. Mais largent nest pas
le seul facteur car le trek obéit aussi à ce même
principe : 95 % des treks vont vers Concordia et le camp de base du
Chogori (K2), les 5 autres pourcents ailleurs, ici il ny a que
nous six. La différence que je fais entre les alpinistes et les
trekkeurs tient du rapport tissé de lhomme et la montagne
: si lalpiniste « conquit » (quel mot orgueilleux
!) le sommet des montagnes, l'amateur de treks et de randonnée
est revanche conquit par elle : la montagne est pour moi une question
desthétisme et non délitisme. Un Everest ne
vaudra jamais un Nuptse, un Rakaposhi, un Ultar Peak ou un Cervin, même
si comme beaucoup, je ne peux pas totalement exclure le coté
historique dans la perception esthétique dune montagne.
Je me qualifie volontiers de contemplateur, rien de plus, la marche
nest quun moyen pour y parvenir. Je crois cependant être
un montagnard malheureusement frustré de ne pas avoir goûté
à livresse de la haute altitude
pas aux sommets,
juste à livresse de tout la haut.... Quoi quil en
soit, alpinistes, randonneurs, trekkers, skieurs, nous laimons
tous notre montagne !
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