Page voyage au Cachemire
TREK BIAFO HISPAR
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Avant-propos
7 août - SKARDU – voyage – soleil !
8 août - SKARDU - préparatifs du trekking – soleil !
9 août - SKARDU - préparatifs du trekking – soleil !
10 août - SKARDU - préparatifs du trekking - temps couvert
11 août - ASKOLE (3050 m.) - pluie et soleil -
12 août - NAMLA (3690 m.) - 5 h. de marche - temps couvert
13 août - MANGO (3800 m.) - 4 h. de marche - pluie et soleil
14 août - BAINTHA 1 (3990 m.) - 7 h. de marche - pluie et soleil
15 août - BAINTHA 1 - soleil !
16 août - MARPOGORO (4410 m.) - 5 h. de marche - soleil !
17 août - KARPOGORO (4680 m.) - 5 h. de marche - soleil !
18 août - KANI BASA CAMP (4600 m.) - 11 h. de marche - neige
19 août - KANI BASA CAMP - neige et soleil
20 août - H S. CHAM (4400 m.) - 4 h. de marche – soleil !
21 août - BITAMMAL (3660 m.) - 9 h. de marche - soleil
22 août - BITAMMAL - nuages
23 août - HURU (2972 m.) - 9 h. de marche – soleil !
24 août - NAGAR (2300 m.) - 6 h. de marche – soleil !
Epilogue

Avant propos

Islamabad dans l'agitation des rues. L'un des nombreux camions super kitch Bedford made in Pakistan.

Ce trekking, j’en ai rêvé des années durant. Sur la carte, tout est évident : les glaciers du Biafo et d’Hispar coupent le Karakoram en 2, écartant de part et d’autre quelques unes des plus belles montagnes du monde, une voie royale pour un trek de rêve. Remonter le glacier de Biafo (64 kms) et descendre celui d’Hispar (58 kms) en passant par le col du même nom, c’est la randonnée glaciaire par excellence. Mes lectures sur cette région ont toutes fait l’éloge de la beauté des paysages. Après une première visite en 1997, je suis revenu du Pakistan en 2000 enthousiaste, en ayant pour objectif ce trek. Mais comment ? Par manque d’infrastructures touristiques, il est plus difficile de trekker au Pakistan qu’ailleurs. Au cours de ma première expérience, j’ai pu rassembler de précieuses informations à propos du trekking au Pakistan et tester les possibilités d’y monter un trekking personnel.


Je suis donc reparti en 2000, seul, sans préparation sur place, mais avec beaucoup de motivation, mon expérience de trekking en poche. J’ai mis un point d’honneur à monter cette expédition moi-même par souhait d'autonomie d’abord, mais également par souci financier. Je voulais réaliser un trekking à la carte, ne pas m’embarrasser de contraintes d’opinion avec une agence de trek locale et donner mon argent aux locaux sans intermédiaires superflus. Le risque principal était de me tromper sur le guide. Je savais que je trouverais un guide sur place mais le risque était grand de tomber sur une « cabane », c’était le cœur du problème : un bon guide est d’abord un guide avec qui le feeling passe parfaitement. Il fallait trouver quelqu’un avec qui j’allais tisser une réelle relation de confiance. Pas vraiment aisé quand on débarque de Paris, quand le temps est compté, quand on ne connait personne sur place, dans un pays réputé difficile, éloigné du notre à tous en tous points. Le guide doit aussi savoir organiser une équipe et tout ce qui lui est nécessaire (nourriture, transport…), il doit aussi connaître la route, bien sûr. Enfin, les porteurs dont il a la charge doivent le respecter. J’avoue qu’en la personne de mon guide Hassan, le cahier des charges a été largement respecté.
A travers mes amis que vous allez découvrir au fil du voyage, vous ferez connaissance avec le Pakistan et ses rudes montagnards qui travaillent très dur sans être toujours très bien récompensés, pour le plaisir de quelques nantis.

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Lundi 7 août - SKARDU - voyage - soleil !

L'indus, tantôt calme, tantôt furieux ne laisse qu'un frêle passage dans la vallée à la route menant à Skardu. Le Premier ministre est en visite dans la ville, la foule est attentive à son discours.

Je décolle de Paris samedi à 11h30 pour arriver le dimanche à 6 heures du matin à Islamabad. Je file vers le bus stand pour attraper un bus local. Le long voyage sur la Karakoram Highway déchaîne une fois de plus ma passion, un vrai pèlerinage. Cette route construite jusqu’en Chine entre 1968 et 1982 s’est ouverte au monde en 1984, 5000 hommes y périrent au travail, la route devait passer à tout prix entre les 2 pays alliés contre l’ennemi indien. D’abord stratégique, elle est devenue peu à peu un lieu commercial crucial pour le pays. Sans cesse, des cohortes de camions bariolés font la route vers la Chine et en reviennent chargés. Grâce à l’échancrure sabrée par l’Indus à travers l’Himalaya, la route la plus haute du monde se faufile jusqu’aux contreforts du Karakoram. Puis bifurquant brusquement vers l’Est, s’engage vers des gorges séparant l’Himalaya du Karakoram. De bout en bout, la vue est bouchée par des hautes parois de plusieurs milliers de mètres, le massif du Haramosh (7409m) tout près reste invisible. J’arrive épuisé lundi à 19 heures à Skardu, j’ai cassé mes lunettes à cause des trépidations du bus mais qu’à cela ne tienne, elles ne m’empêcheront pas d’organiser au mieux et sans tarder mon trekking. Je bois un coca et je m’endors dans un hôtel crasseux en rêvant de la vue sur l’énorme face Nord du Nanga Parbat appelée aussi la mangeuse d’homme, qui m’aura une fois de plus ému. Je suis enfin arrivé à mon camp de base après seulement 3 jours de voyage.

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Mardi 8 août - SKARDU - préparatifs du trek - soleil !

Au loin, la tempête de sable tourbillonne.Skardu est construit sur un formidable cône de déjection.

Je me réveille à 7 heures, je file au breakfast et fais connaissance avec un groupe de 6 Allemands qui reviennent tout juste des tours de Trango. Ils ont tous atteint le sommet, ce qui m’impressionne beaucoup. Je ne souhaite pas confier l’organisation de mon projet à une agence locale donc je me donne 3 jours maximum pour établir des contacts et récolter des informations, me nourrir de conseils sur les prix, le matériel, la nourriture, les fournitures nécessaires. Quant au guide et porteurs, je les embaucherai directement sur place à Askole, point de départ de l’itinéraire. Trouver un guide sera la clé du problème, je le sais, le destin fera le reste. Les Allemands m’indiquent un très bon guide, je suis intéressé pour le rencontrer, la journée ne pouvait pas mieux commencer.
Dans la ville, très vite je fais connaissance avec M. Mazaar, vendeur de cristaux et d’antiquités arrachés aux vieux temples bouddhistes encore debout dans la région. Il s’est occupé de mes lunettes et en a trouvé des neuves. Il est originaire du Punjab et il est novice en matière d’expédition en montagne mais il se propose de m’aider. Je le crois honnête et volontaire, il s’avérera déterminant dans ma recherche.
Déjà, mon projet d’aller à Askole et d’y recruter directement mon guide et mes porteurs s’écroule, les check point disposés sur la piste refoulent illico les occidentaux solitaires, il faut donc que j’y aille accompagné d’au moins un guide recruté ici à Skardu mais comment recruter un type du coin qui connaisse bien les glaciers de Biafo et Hispar ? Demander à une agence, sûrement pas ! L’affaire se corse sérieusement.
M. Mazaar connaît des guides, j’en verrais 3 aujourd’hui par son intermédiaire mais je doute de leur efficacité, ils ne parlent pas anglais, hésitent quant à la quantité de nourriture à emporter par exemple. Un prétendu guide me présente une photo du Gondogoro pass mais par malchance pour lui, je connais ce col et cette photo n’est pas celle de ce col... Le soir, nous allons avec M. Mazaar dans un boui-boui du bazar où les guides et porteurs de retour d’expédition ont l’habitude d’aller manger. Le dîner est sympathique, je suis entouré de rudes gaillards, tous des porteurs de haute altitude mais peu parlent un anglais correct. Je récolte néanmoins toujours des infos de la bouche de mon ami qui traduit.

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Mercredi 9 août - SKARDU - préparatifs du trek - soleil !

Les enfants sont curieux devant l'objectif.

La journée commence en fanfare lorsqu’un dénommé Hassan déboule dans ma chambre non verrouillée, à 6 heures du matin. Comme les Indiens, les Pakistanais n’ont pas forcément le sens de l’intimité et de la propriété privée, je l’ai souvent constaté. Je me réveille avec difficulté et furieux, je renvoie cet inconnu planté au milieu de ma chambre, j’ai besoin de dormir ! Hassan est en fait le guide des Allemands, il venait se présenter, certificat officiel de guide en main. A 8 heures, un type rencontré hier arrive à moi et en colère. Il m’accuse de l’avoir court-circuité, ce qui est un peu vrai puisque je lui avais promis de le rencontrer hier soir. Il parle tout de suite argent, il est pressé : c’est bon, j’ai compris... Au tour du patron de l’hôtel maintenant, lui aussi me fait vraiment mauvaise impression, il n’en veut qu’à mon argent. J’ai les jambes mangées par les puces, je lui conseille d’acheter un aspirateur... Hassan revient à la charge, mais non vraiment, je ne peux pas l’écouter, j’ai rendez-vous à 9 heures chez M. Mazaar pour rencontrer d’autres prétendants. Toute la matinée, je m’enrichis encore de précieuses informations.
Je verrais Hassan le soir. Il parle un anglais correct, il est calme et disposé et déjà, je le crois dénué de mauvaises pensées. Je le questionne sur des détails simples de logistique et il répond de façon cohérente, il est crédible et ses prix sont corrects. Il fournit la tente et le réchaud à kérosène. De plus, il me dit qu’il habite Askole, lieu de départ de notre périple. Cependant, suite à l’incident de ce matin, il ne gagne pas encore totalement ma confiance.
Aujourd’hui, je fais le tour des agences pour avoir leur point de vue sur la question. Leurs prix sont de 50 à 500 % plus chers que celui que je me suis fixé. Une agence n’hésite pas à me proposer une cohorte de 34 porteurs, de 2 cuisiniers et 1 guide, ce qui fait 37 personnes à transporter, nourrir et payer !!!! Dépité, je reviens le soir voir M. Mazaar.
En voyage, le destin fait toujours une pirouette au moment les plus inattendus : dans la boutique, je vois mon ami M. Mazaar discuter avec Hassan, ils sont amis ! Sans tarder, j’explique à M. Mazaar les négociations « secrètes » avec Hassan. M. Mazaar me rassure à propos d’Hassan, il dit qu’il est bon guide. Droit dans les yeux, je lui demande si je peux lui faire confiance, il me répond « atcha ! » (oui !) : ses yeux sont sincères, je suis convaincu, j’ai trouvé mon guide. « Mektoub ! ».

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Jeudi 10 août - SKARDU - préparatifs du trek - temps couvert :

Le polo, un sport très pratiqué après le cricket. En route pour Askole !

La journée est consacrée aux emplettes. M. Mazaar nous accompagne, il marchande tous les prix, des assiettes, casseroles, bougies, cocotte minute ou allumettes. Hassan s’occupe de la nourriture, du kérosène et du transport. Le temps est mauvais, une tempête de sable vient même s’abattre sur la ville mais le moral est au beau fixe : demain matin à 5 heures, nous partons pour le village d’Askole !

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Vendredi 11 août - ASKOLE (3050m) - pluie et soleil :

Un vieux d'Askole et la maison d'Hassan mon guide d'Askole

Après un « au revoir », je quitte M. Mazaar et nous partons comme prévu à 5 heures du matin de Skardu. La jeep est pourrie mais elle tiendra le coup, on fait vite confiance ici à ces véhicules d’une robustesse plus que douteuse.
La piste est superbe, elle zigzague entre les oasis, les dunes de sable, les dépôts morainiques énormes, les pierriers et les rives de la Braldu presque paisible. L’horizon est masqué par les pics enneigés et les glaciers qui nous tendent leurs bras. Puis, les moraines se font moins épaisses, le blanc de la neige prend le pas, les sommets se font plus effilés, on est arrivé au bout de la piste. Ensuite, après 2 petites heures de marche, nous arrivons à Askole, tranquilles et heureux. Hassan et moi, nous nous entendons à merveille.
A Askole, les gamins nous réservent un accueil mitigé, les femmes se cachent mais ne sont pas voilées. Je suis reçu en grande pompe dans la maison de mon guide, j’en suis honoré. Nous buvons le thé puis Hassan insiste pour que je reste à l’intérieur. Rien n’y fait, je ne suis pas venu jusqu’ici pour rester à croupir entre 4 murs. Je sors, quelques gamins me brisent le cœur en me lançant des pierres. Je suis étonné de cet accueil, je ne suis pourtant pas au bout du monde ici, des centaines d’Occidentaux passent chaque année par ici pour aller à Concordia. Cependant, le village est beau, baigné dans la verdure des champs irrigués, une beauté qui cache pas mal de souffrances. Les conditions de vie sont rudes : le fumier traîne dans les rues et les enfants en bas âge aussi, je n’ose pas imaginer ce que ça doit être ici l’hiver : 50 % de mortalité infantile ici, pas moins. Les hommes et les femmes travaillent dur et paraissent 2 fois leur âge. Il y a un dispensaire en construction, généreusement offert par une Italienne. Un homme du village m’explique que les dons versés à l’administration s’élèvent normalement à 300 000 roupies mais que seulement 18 000 roupies ont été reversées pour la construction. « In Pakistan, administration no good ! » me dit-il. Il y aurait bien besoin d’un dispensaire mais la construction s’est arrêtée faute de moyen.
Le soir après le repas, emprisonné dans ma chambre, j’entends derrière la fenêtre le mollah réciter des prières. Je préfère finalement les atmosphères bouddhistes des villages népalais à l’ambiance de ce village. De toutes façons, il fait noir maintenant et je n’ai plus vraiment envie de sortir.
Hassan vient dans ma chambre et me dit qu’il a changé d’opinion : nous ne prendrons pas 6 porteurs comme nous l’avions prévu (6 jusqu’au col puis 2 à retourner sur leurs pas sacs à dos vides) mais 4 seulement qui nous accompagneront jusqu’au bout. Les charges seront donc plus importantes pour chaque porteur, je négocie une prime de 1000 roupies supplémentaire pour chacun d’eux. Marché conclu !

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Samedi 12 août - NAMLA (3690m) - 5 h. de marche - temps couvert :

Hassan, Hassan bis, Mohammed, Rasoul et Ali

Je me réveille à 7 heures sans excitation, j’ai vraiment bien dormi. Hassan m’apporte un tchaï avec des Paratas très sableux, une spécialité du coin. Aucun rayon de soleil ne passe à travers les vitres fumées : « bad weather » me dit Hassan. Je sors un instant, le ciel est laiteux, un temps qui ne me dit rien qui vaille. Je vais dans la pièce centrale, la femme d’Hassan se réfugie dans le grenier à grains. Je découvre les porteurs, Ali, Mohammed, Rasoul et Hassan bis, ils sont déjà presque prêts. Hassan mon guide insiste pour me prendre mon sac mais je tiens à porter mes 12 petits kilos. Rapidement nous partons, un gosse nous attend à la sortie du village pour nous bénir avec de la farine de blé.
Sur le chemin, nous croisons une expédition revenant du Panmah glacier, encore un vieux rêve… Eh, garçon ! Réveilles-toi, tu y es dans ton rêve de gosse, tu en prends le chemin !
Le chemin est plat puis bifurque vers le Nord pour monter jusqu’à un petit col sur la moraine du Biafo. Tout à coup, je découvre le monstre : le Biafo est immense, nous accueille par le vrombissement sourd et incessant des « rollings stones », il nous offre sa langue de glace en soufflant sur nous son haleine glaciale. Je reste assis, stupéfait. Je découvre avec appréhension la difficulté du terrain, les pierres sont énormes et innombrables, le monstre ne se laissera pas approcher facilement. Vers l’amont, la brume se mêle aux gris des pierres, le plafond est bas, j’ai froid.
Nous dévalons volontiers la moraine instable puis nous gagnons le pierrier. J’ai la pêche mais mes jambes de citadin sont encore peu souples. Tels des funambules, mes porteurs lourdement chargés (30 kg) basculent de pierre en pierre, quant à moi, mes semelles high tech « Vibram » me sauvent tout juste du ridicule. Ils ont tous participé à des expés sur le K2 et sont tous montés au camp IV, sur l’arête des Abruzzes à 7400m d’altitude ! Je me prosterne devant leurs performances. On monte, on descend, j’enjambe, je ripe, je glisse, je dérape et m’épuise, la marche sur glacier n’est pas vraiment ma tasse de tchaï, c’est pourtant ce qui m’attend pendant 2 semaines, l’exercice est excellent et nous ferons souvent des pauses, me dis-je. Nous marchons soit sur la glace du Biafo, soit sur ses abords morainiques. Déjà, la glace vive se fait plus présente, nous gagnons en altitude, nous arrivons à Namla à 14 heures, ce qui nous laisse de belles heures pour profiter du coin.
Le ciel est changeant, ce qui donne de beaux effets d’ombres et de lumières sur le Dongbar (6282m) et le Bullah ( 6294m), les sommets remarquables des alentours. Tout à coup, une énorme chute de pierres roule au-dessus de nous, nos yeux inquiets se lèvent au ciel, les montagnes sont vivantes ici ! Namla est un alpage assez vert, un pâturage pour les yaks. Les niveaux de végétations sont respectés, mis à part qu’il y en a un supplémentaire par rapport à la latitude des pays tempérés : la steppe désertique. Quand les terrains ne sont pas irrigués, il faut monter à 3000 mètres pour trouver les premiers brins d’herbes. Plus haut, quelques grasses prairies, quelques résineux torturés par la sécheresse poussent puis retour à la pierre nue avant la glace. Au loin, au sud-est, deux superbes montagnes d’une blancheur extrême se détachent dans la lumière du soir, le Mandu Peak au Nord et Chikang Peak au Sud, deux 7000 oubliés et encore vierges, me dit Hassan. J’ai beau les chercher sur ma carte, je ne les trouve pas. Rasoul ramène un bouquet de fleurs et des groseilles : mais où a-t-il bien pu trouver ces merveilles dans cette clairière au milieu de cette forêt de pierres ? Je sais désormais que cette randonnée se passera bien, je suis aux anges.

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Dimanche 13 août - MANGO (3800m) - 4 h. de marche - pluie et soleil :

La face Sud du Latok zoomée, pareil au Cervin. Petite pause dans les pierres du Biafo.

Le soleil alterne avec quelques averses sporadiques. Qui peut prévoir le temps qu’il fait ici à cette saison ? Nous marchons toujours parmi les pierres en gneises et en granit, les plus dures qui soit. Je m’amuse de leurs couleurs blanches, grises, orangées, parfois vertes ! Celle-ci provient-elle du Latok ? Celle-ci du Baintha ? Les pierres sont innombrables et la marche est épuisante, je suis très juste physiquement d’autant que mon appareil digestif est fortement perturbé ce matin. Tout à coup, par manque de concentration, je grimpe sur une pierre qui bascule sous mes pieds et vient taper pile sur mon genou gauche, je tombe et j’hurle. Ce n’est pas grave… Mais ça aurait très bien pu l’être… Je décide d’aller moins vite, je reprends la marche en boitant. Hassan me dit alors « your shoes are not good » et me montre ses baskets raccommodées. Je lui rétorque alors que le problème ne provient pas de mes chaussures mais de mes jambes. Hassan me suit maintenant, il est bon guide, l’interface idéale entre moi et les porteurs : ceux-ci ne parlent pas anglais, la communication eavec eux passe obligatoirement par Hassan. Un bon guide n’est pas seulement un guide qui connaît la route, c’est aussi et avant tout un guide qui ordonne et qui se fait respecter.
A midi, nous arrivons à Mango après seulement 4 heures de marche. Tout comme Namla, Mango est une prairie d’altitude pour les yaks, difficile d’imaginer des yaks se mouvoir dans toutes ces pierres, les bêtes s’y brisent souvent les pattes, me dit Hassan et j’ai bien failli faire comme eux aujourd’hui.
Pour célébrer l’indépendance du Pakistan, je plante ma canne dans le sol et y hisse le drapeau Pakistanais que j’avais précieusement caché dans le fond de mon sac. Hassan vient m’aider, le drapeau flotte maintenant avec nous au milieu des montagnes, je crois qu’ils en sont très fiers.
La glace vive et blanche apparaît au loin à la surface du glacier, encore plus loin en amont, mon premier grand choc : la formidable silhouette du Latok I (7151m) se dégage et apparaît dans la lumière du crépuscule. Tel un fantôme, sa face Sud s’avance avec élégance en surplomb du glacier, sa face Nord quant à elle s’efface dans un grand ballet de nuages affolés. Cette pyramide parfaite me fait penser irrémédiablement au Cervin. Quelle force tellurique a pu monter cette roche au-dessus des cieux ? Je reste muet.

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Lundi 14 août - BAINTHA 1 (3990m) - 7 h. de marche - pluie et soleil :

Le groupe des Latoks et du Baintha s'illumine sous le soleil matinal. Les prairies sont encore fleuries à cette altitude.

Tôt le matin, je grimpe à perdre haleine sur la moraine du Biafo et vais observer à nouveau le Latok I. Le soleil se lève sur les groupes du Latok et du Baintha réunis. Leurs sommets saupoudrés de neige fraîche sont maintenant débarrassés de nuages. La vue est prodigieuse, le granit orange si particulier du Baintha brakk (7285m) crève l’écran, je suis en face d’un des plus beaux spectacles naturels de la planète, c’est de l’art ! Je prends quelques photos et je redescends, enthousiaste. Ce soir, nous serons à ses pieds.
Nous traversons le glacier et marchons désormais sur la glace vive et rugueuse. Le coin est sublime. Nous enjambons de temps à autre quelques belles crevasses, elles ne sont pas plus difficiles à sauter que les trottoirs de Paris, le Latok en point de mire remplaçant la tour Eiffel. Le chemin grimpe maintenant sur les versants abrupts de la rive opposée, exposés plein sud et nous arrivons à Schafung où nous nous arrêtons pour manger. Schafung n’est pas un pâturage pour les yaks, trop loin, trop difficile d’accès pour les bêtes, ce qui permet aux plantes de pousser tranquillement sans se faire manger. La flore est explosive ici, le sol est un tapis de fleurs de formes et de couleurs variées. Il est plaisant de constater qu’en montagne, le milieu végétal prend le dessus sur le milieu minéral dès qu’il le peut, recouvre les pierres sans vie de couleurs bigarrées : toutes ces fleurs ne sont-elles pas là pour offenser la force brutale et insultante des éléments environnants ? Ce n’est pas un combat inégal : les fleurs aiment la montagne, c’est le plus bel affront qu’elles peuvent lui faire.
Nous repartons pour rejoindre en 2 heures le lieu de campement Baintha I. Le coin est conforme à mes rêves de montagne les plus fous : des glaciers énormes, des orgues et des cathédrales de pierres dont je ne connais pas les noms, ma carte non plus d’ailleurs. Le temps s’améliore peu à peu et ce soir, la nuit est claire et étoilée, c’est magnifique même la nuit. Je n’ai pas les symptômes du mal des montagnes mais nous resterons quand même ici demain pour s’acclimater à l’altitude et profiter du coin.

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Mardi 15 août - BAINTHA 1 - soleil !

Marche aisée sur la glace du Biafo. Quelques montagnes sans nom, les admirer est un régal.

Comme je n’aime pas les crises de foie ! Je connais le coupable : le thé salé Balti n’est pas passé hier soir. Le sel n’est pas en cause mais plutôt la préparation, ils ne l’ont pas fait bouillir ! Je me réveille malade à 8 heures et me traîne dehors toute la matinée sans appétit, impossible d’avaler quoique ce soit, pas même une gélule réparatrice. A 1 heure de l’après-midi, nous décidons tout de même de partir près du sanctuaire du Baintha. Hassan prend mon appareil photo et ma gourde. Au bout d’une interminable marche de 2 heures, nous j’arrive exténué au pied du Baintha brakk, de l’Uzun brakk et des Latoks réunis. Mon esprit se ranime subitement. Nous restons 3 heures sur place appareil photo en main, Hassan s’endort à coté, quant à moi, je ne me lasse pas et reste éveillé jusqu’au soir devant ces tours de purs granits. Je me souviens de mes lectures et je me remémore la célèbre tragédie qui a failli coûter la vie à Scott et Bonnington. Doug Scott se brisant les 2 jambes juste au-dessous du sommet, le malheureux est redescendu à 4 pattes jusqu’au camp de base avec l’aide de son équipier Chris Bonnington, atteints de 2 côtes cassées et d’une pneumonie, un calvaire qui dura 8 jours dans le mauvais temps ! Je parcours des yeux la distance… Ma crise de foie est bien dérisoire comparée à cette tragédie… et je me prends à rire.
Je vais mieux et regagne le campement complètement « vidé » mais rempli de joie. Mon appétit retrouvé, j’énumère dans mon esprit les aliments qui me feraient plaisir : coke ? porridge ? chocolat ? inutile d’insister, il n’y en a pas dans le frigo... Euréka ! j’avais acheté un paquet de spaghettis à Skardu au cas ou ! Spaghettis, oignons, green tee, je suis sauvé !

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Mercredi 16 août - MARPOGORO (4410m) - 5 h. de marche - soleil !

Un sommet inconnu se révélant à la lumière de l'aube. 2000 mètres sous les sommets de quelques flèches de granit.

Il gèle jusque dans ma tente ce matin, je commence à comprendre pourquoi ce trek est difficile à réaliser après septembre. Nous commençons à marcher à 8 heures. Pour la première fois, en marchant, tout le monde est grave, pas un chant ne vient perturber le bruit des chaussures sur la glace. Mohammed d’habitude attendrissant, Rasoul et Ali serviables, Hassan bis jeune et fougueux, tous sont méconnaissables, seul Hassan qui d’habitude a la contenance du prêtre tibétain est en cohérence avec l’environnement. Je crois ne jamais avoir vu un milieu aussi déprimé, il nous imprègne au plus profond de nous-mêmes, il incite à la méditation, à l’introspection. Je regarde à l’horizon si j’aperçois des ours. Il n’y a plus d’ours ici, il en subsiste dans le Nord, sur le Panmah glacier et au-delà me dit Hassan.
La journée se passe sur la glace jusqu'à Marpogoro, un lieu abrité derrière la moraine où les fleurs ne poussent plus guère. Nous plantons la tente au pied d’une colonne de granit sans nom. L’aplomb fait approximativement 1500m de vide, c’est prodigieux ! Cette flèche de granit n’a rien à envier aux célèbres tours de Trango ou d’Uli Biaho. Hassan me dit qu’en 1997, il est venu avec Philippe et Alberto, 2 espagnols venus tenter le sommet. Après 1 semaine dans le mauvais temps, les infortunés reviendront au camp de base mais pour rendre hommage aux bons services d’Hassan, ils baptiseront ce sommet Hassan Peak ! Je m’empresse de l’écrire sur ma carte qui n’est finalement rien d’autre qu’un brouillon. Ceux qui croient que l’aventure alpine est révolue sont peu informés de ce qui se passe ici ou plutôt plus justement, de ce qui ne se passe pas : tant de pics, tous plus beaux les uns que les autres et sans nom, jamais gravis, vierges ! A croire que les expéditions se dirigent toujours à tord je crois vers des lieux connus et clinquants, en priorité sur les quatorze 8000 de la planète, porteurs de renommée pour les grimpeurs et de poids médiatique pour les partenaires commerciaux. Mais l’argent n’est pas le seul facteur car le trek obéit aussi à ce même principe : 95 % des treks vont vers Concordia et le camp de base du Chogori (K2), les 5 autres pourcents ailleurs, ici il n’y a que nous six. La différence que je fais entre les alpinistes et les trekkeurs tient du rapport tissé de l’homme et la montagne : si l’alpiniste « conquit » (quel mot orgueilleux !) le sommet des montagnes, l'amateur de treks et de randonnée est revanche conquit par elle : la montagne est pour moi une question d’esthétisme et non d’élitisme. Un Everest ne vaudra jamais un Nuptse, un Rakaposhi, un Ultar Peak ou un Cervin, même si comme beaucoup, je ne peux pas totalement exclure le coté historique dans la perception esthétique d’une montagne. Je me qualifie volontiers de contemplateur, rien de plus, la marche n’est qu’un moyen pour y parvenir. Je crois cependant être un montagnard malheureusement frustré de ne pas avoir goûté à l’ivresse de la haute altitude… pas aux sommets, juste à l’ivresse de tout la haut.... Quoi qu’il en soit, alpinistes, randonneurs, trekkers, skieurs, nous l’aimons tous notre montagne !

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