La chaîne de montagne du Karakoram longue de
400 km est appelée « Khara-Khelem », ce qui signifie
la « grande barrière » en Mongolie et «
Tsagaan-Kherem qui signifie la « barrière blanche»
en Chine. Un col, le Karakoram Pass qui signifie col des "Pierres
Noires" en turque, permettait de franchir la ligne de partage
des eaux entre l'océan indien et l'Asie centrale aux caravanes
des routes de la soie d'autrefois et d'éviter le massif par
l'Est, cest le col qui a donné son nom à toute
la chaîne : ce col est aujourd'hui à la frontière
disputée entre la Chine et lInde (nord du Ladakh).
Hormis la couleur de ses pierres noires, le Karakoram Pass eut longtemps
une sombre réputation forgée dans les mythes comptés
par les marchands qui empruntaient les hautes routes commerciales
de la région.
Tout ce qui touche à ce massif est extrême et unique
au monde : le Karakoram est sans nul doute la région montagneuse
la plus élevée du globe (3800 mètres daltitude
moyenne, record mondial). Entourée et Isolée par les
6 plus hautes chaînes de montagne du monde que sont lHimalaya,
lHindu Kush, lHindu Raj, le Pamir, le Kun Lun et le
Tien Shan, cette région est au cur du plus puissant
nud orographique terrestre, lune des plus sauvage au
monde. Le massif accueille 4 des 14 sommets de plus de 8000 mètres
(K2, Broad Peak, Gasherbrum I et Gasherbrum II), 10 des 30 plus
hauts sommets du monde, plus d'une centaine de 7000 sur une longueur
de seulement 400 km à vol doiseau. Ces chapelets de
montagnes appelées « groupes » ou « muztagh
» (« Muz » signifiant « glace », «
Tag » montagne, signification analogue au Mont Blanc ou au
Dhaulagiri) se tendent vers le ciel tandis que quelques-uns des
plus longs glaciers du monde, les 8 plus longs si lon écarte
les régions polaires, érodent sans cesse la croûte
terrestre. Ces glaciers fondent en été à une
vitesse incroyable sous un soleil brûlant pouvant faire monter
la température à 40°C, transformant les rivières
d'aval en torrents impétueux qui transportent le plus fort
volume de sédiments de toutes les rivières du monde.
La puissance de ces impressionnants cours d'eau est telle que des
blocs de rochers de la taille d'un immeuble se retournent et roulent
dans leurs lits. Parcourir ce massif, c'est assister à la
plus grande démonstration de géologie active que le
monde puisse nous offrir.
On dénombre à peu près 135 glaciers
dimportance au sein du massif. Ci-dessous les principaux glaciers
(dont sont exclus les glaciers émissaires de calottes glaciaires).
Il est à noter que les glaciers du Karakoram concurrencent les
glaciers polaires, très loin des régions polaires.
Vue depuis le sommet du Nanga-Parbat vers l'Est, de gauche à
droite (du Nord au Sud) :
le K2, Broad Peak, le groupe des Gasherbrums, le Masherbrum.
Vue depuis le sommet du gasherbrum II, vers le Nord-Ouest : de gauche
à droite,
le Broad Peak (au centre gauche), l'arrète des Abruzzes du K2
en arrière plan
puis le Skyang Kangri. Très loin à l'horizon, l'Hindu
Kush et le Pamir.
Régions polaires :
* Bagley icefield et Behring (Cordillère de la Côte,
Alaska) 185 kms
* Seward et Malaspina (idem) 100 kms
* Logan (idem) 95 kms
* Hubbard (idem) 80 kms
* Muldrow (Cordillère de la Côte, Alaska)
* 72 kms, Monaco (Spitzberg) 48 kms,
Le glacier de Siachen, le plus long des glaciers hors des
régions polaires
Le glacier de Godwin Austen cheminant au pied
du K2 (photo prise le soir avec en bas l'ombre du K2, plus loin
Concordia au fond le portique reconnaissable du Chogolisa -7665m-,
au pied duquel se déroule l'Upper Baltoro à l'extrême
Sud)
Le Karakoram renferme la plus grande concentration de
glaciers du continent asiatique, avec 8 glaciers de plus de 50 kilomètres
de longueur ; 20 de plus de 30 kilomètres, les glaciers de Batura,
Biafo, Hispar, Panmah, Siachen, Saser, Chogo Lungma et Rimo dépassent
tous 350 km2 de superficie, létendue totale des glaces
qui excède 16 000 km2 constitue un stock énorme d'eau
douce, richesse inestimable pour les régions situées en
aval, caractérisées par leur aridité et enclines
à la sécheresse. Les eaux de fonte glaciaires apportent
une contribution importante aux fleuves de l'Indus au Sud, du Yarkand
au Nord et conditionnent la vie denviron 130 millions de personnes.
En déclarant « lIndus est la veine jugulaire du Pakistan
», Jinnah soulignait un fait géographique, dimportance
stratégique considérable et toujours dactualité.
Ci dessous une illustration imagée du glacier
de Biafo, de sa langue terminale jusqu'à la calotte de glace
du Snow Lake :
Lexception géologique et climatique
du Karakoram :
La première étape de glaciation en Himalaya
est datée du Pléistocène inférieur, et a
débuté dans ce massif du fait de sa position septentrionale
et de son altitude moyenne. Cette glaciation à été
suivie par de très forts phénomènes dérosion
et de dénudation. Le retrait des glaces au pléistocène
a laissé apparent la base des parois rocheuses des montagnes
et a entraîné des masses énormes de sédiments
dans les vallées et les bassins daval. L'orogénie
récente de l'Himalaya représente la plus jeune étape
de l'évolution de la ceinture d'Alpino-Himalayen qui a commencé
dans le Paleozoïque supérieur (Pré quaternaire),
puis l'Himalaya, le Karakoram et les autres chaînes de montagne
annexes ont, pendant l'Holocène, atteint leurs tailles, leurs
aspects morpho tectoniques et orographique actuels. La morphologie si
caractéristique des montagnes du Karakoram a donc été
formée par des processus morpho climatiques, dirigés par
les changements globaux du climat pendant le quaternaire aussi bien
que par son mouvement délévation exceptionnel.
L'Himalaya et le Karakoram n'ont pas encore atteint
leurs équilibres isostatiques puisque lélévation
globale des plaques dépasse le travail de lérosion
et la dénudation pourtant exceptionnellement active.
Les soubresauts des glaciers et ses effets dévastateurs
:
Le glacier de Rimo (siachen)
Les glaciers du Karakoram sont soumis à des croissances ponctuelles
difficilement expliquées par les glaciologues. En quelques années
seulement, de tranquilles langues de glaces peuvent grossir et devenir
des flots dévastateurs de glace et de roche. Déjà,
les soubresauts des glaces étaient connus des pèlerins
qui parcouraient la route de la soie, à lEst du massif.
Les trois glaciers dangereux de la vallée de Shyok, quand leur
avance était rapide, bloquaient la vallée en amont, leurs
noms même sont évocateurs des phénomènes
cataclysmiques quils provoquaient : le Chong Kumdan (signifie
"le Grand Barrage"), le Kichik Kumdan (signifie "le Petit
barrage"), les autochtones le rebaptiseront par la suite Thangman
(qui signifie "Cicatrice"). Ces glaciers barraient la route
aux pèlerins. Après une poussée de glace, le passage,
d'abord hasardeux, devenait impossible; puis un lac se formait en arrière
du barrage qui, dès que le glacier reculait, explosait sous l'énorme
pression de l'eau accumulée. La crue, imprévisible était
dune violence inouïe : en juin 1835, elle détruisit
tout sur 250km, jusqu'à Deskit et Tegur, à la confluence
de la Nubra. Les caravanes n'avaient alors d'autre choix que de passer
à gué et de traverser les hautes plaines désolées
du Depsang.
Le glacier de Thangman (Kichik Kumdan) se déverse
dans la vallée de Shyok brutalement et forme en son creux
un barrage d'eau dangereux.
Les montées subites des glaces représentent toujours des
risques sérieux pour les populations locales, engloutissant les
terres cultivées, produisant des barrages deau et occasionnant
des inondations soudaines, ou perturbant des communications locales.
Le glacier de Batura au bas duquel passe la Karakoram Highway, lien
vital pour les régions du Nord, est constamment surveillée.
Ces soubresauts inexpliqués sont toujours fréquents dans
ces glaciers et ceci, malgré un recul générale
et continue des glaces dà peu près tous les glaciers
du globe. Depuis un siècle, il y eu 26 soubresauts de glaciers
comptabilisés dans le Karakoram, des avances rapides ont été
rapportées impliquant au minimum 17 glaciers ; seules les chaînes
du Yukon (Alaska) et les îles arctiques de Svalburd connaissent
de telles expansions. Néanmoins, les montées subites des
glaciers du Karakoram nont pas été toutes observées.
Récemment, lexpansion du glacier de Pumari
Chhish entre 1994 et 1996, affluent du glacier dHispar, et celle
du glacier de Chiring, affluent principal du glacier de Panmah, en sont
des preuves récentes et vivantes. Voici lextrait de 2 rapports
scientifiques, suivis des témoignages des plus grands explorateurs
du 19ième siècle :
Avance rapide du glacier de Pumari Chhish en 1985
:
Le glacier dHispar sécoule au pied
dune ceinture de montagne dont l'altitude moyenne est la plus
élevée dAsie, ses mouvements délévation
et dérosion est le plus actif du monde. Le glacier de Pumari
Chhish est d'approximativement 7 kilomètres de long et coule
au sud de la chaîne principale. Il est lun des affluents
principaux du glacier dHispar qui est long de 62 kilomètres
de long et débute sa course à louest du col dHispar
(5150 m) puis s'écoule par la suite dans la rivière Hunza.
Ce glacier a subi une poussée spectaculaire de ses glaces dès
1985. Voici un extrait dun rapport dobservation scientifique,
édité par luniversité des sciences de la
terre du New Hampshire et traduit par le Webmaster de ce site :
"Le glacier de Pumari Chhish est alimenté principalement
par les avalanches, qui proviennent des faces Nord de la montagne du
même nom, le Pumari Chhish (7429m), du Khinyang Chhish (7854m)
et des crêtes anonymes inférieures. Les avalanches déposent
la neige, la glace et les débris dans un petit bassin en pente
douce à 4600-4700m. Les 4km inférieurs du glacier de Pumari
Chhish descendent graduellement de ce petit bassin d'accumulation à
4000m dans une cuvette dau moins 500 m de large.
Glacier de Kani Basa, affluent de l'Hispar
Lexplorateur Conway a traversé et a examiné les
glaciers dHispar et de Pumari Chhish en 1892, il en a noté
ceci : " il est remarquable que, tandis que le glacier de Lak se
rétrécissait considérablement, le glacier de Chur
(le glacier de Pumari Chhish), son voisin immédiat, sest
au contraire considérablement gonflé. Il déborde
de ses moraines et verse une vague énorme de débris au-dessus
sur la surface du glacier dHispar." Aucun des autres explorateurs
tels que les Dr Kooncza et Caliati en 1908, les époux Bullocks
en 1910 (leur carte montre une confluence adoucie), ni Eric Shipton
(sa carte produite en 1939 montre à peu près la même
confluence), n'a mentionné des difficultés pour traverser
ce glacier. Aucune mention n'a été faite sur le glacier
de Pumari Chhish dans des revues éditées par Mason (1930),
Hewitt (1969), Mercer (1975) ou Mayewski et Jesclike (1979).
Montée pénible sur le glacier de
Pumari chhish
Nos propres observations du glacier ont commencé le 19 août
1985 quand le glacier a été franchi pendant une reconnaissance
du bassin dHispar, étude faisant partie dun projet
d'hydrologie. À ce moment-là, il était facile de
traverser le glacier. Il y avait un chemin bien marqué sur ses
deux moraines latérales et à travers le glacier, le chemin
était employé par des bergers pour mener leurs yaks aux
pâtures dété, en amont du glacier dHispar.
La surface du glacier montrait des ondulations douces et était
couverte de débris. La surface des glaces était de plusieurs
dizaines de mètres au dessous des moraines latérales.
L'aspect du glacier avait peu changé la seconde fois quand nous
étions en route pour le col d Hispar le 8 août 1987.
Mais en 1988, la langue du glacier s'était épaissie dau
moins 20m. Il n'y avait aucun itinéraire évident à
travers le glacier, des marches ont dû même être taillées
dans la glace pour progresser.
D'autres observations ont été faites pendant juillet et
août 1989, quand le camp de base scientifique a été
établi à Bitanmal, à 3 kilomètres à
l'ouest du glacier. La langue du glacier de Pumari Chhish s'était
épaissie tellement nettement que la glace était de 16
à 22m au-dessus de la moraine latérale. Le glacier avait
également avancé de 1 kilomètre, atteignant presque
le milieu du glacier dHispar, large à cet endroit de 2
à 2,5 kms. Toute la longueur du glacier de Pumari Chhish était
crevassée, à tel point quil était impossible
de le traverser. ( ). Les pâturages le long de la vallée
d'ablation près du glacier dHispar, en amont du glacier
de Pumari Chhish ont été découpés, et les
yaks restent paître à Bitammal. Une brève reconnaissance
vers le haut du glacier de Pumari Chhish n'a indiqué aucun dépôt
de neige, de glace et/ou de roche qui aurait été indicatif
d'une avalanche ou d'un éboulement important. ( ) La nature
du gonflement du glacier de Pumari Chhish décrite par Conway
ressemble de façon saisissante à nos observations pendant
l'été de 1989, ce qui suggère que le glacier ait
connu au moins deux périodes de croissance rapides connues séparées
approximativement dun siècle."
Quant à ma propre expérience du glacier
de Pumari Chhish :
Moraines du glacier
du Pumari Chissh
Tombe d'un porteur tombé dans une crevasse
du Pumari Chhish aux abords du glacier
En 2000, jai moi-même traversé le glacier de Pumari
Chhish en redescendant le col dHispar. Il était effectivement
très tourmenté comme je pouvais le constater dans mon
carnet de voyage :
« Nous nous apprêtons à traverser à présent
le glacier de Jutmo (ainsi appelé localement), affluent de lHispar
qui descend tout droit du cirque formé au Nord par les montagnes
du Kanjut Sar (7760m) à lest, le Yutmar Sar (7330m) au
Nord, le Khunyang chhish (7852m) à lOuest ( ). La
traversée du Jutmo qui ne fait que 2 kilomètres de large
savérera être un énorme piège. Le glacier
est très perturbé, cest un labyrinthe formé
dune succession de ressauts infranchissables sans crampons entrecoupés
de profondes crevasses, obligé donc de contourner tous ces obstacles
en devinant le meilleur chemin avec beaucoup dintuition. Chacun
y va donc de son propre flair et nous nous perdons les uns les autres.
Cest une véritable course dorientation maintenant,
Hassan le porteur est le meilleur à ce jeu là puisquil
semble avoir trouvé la clé du problème avant nous;
Hassan et moi-même sommes perdus, mais pas autant que Mohammed,
déjà distancés dau moins 500 mètres
en aval du glacier ; Ali et Rasoul sont encore derrière et suivent
de loin. Nous nous retrouverons sur le coté opposé du
glacier après 2 heures de lutte ! Nous remontons la moraine et
retrouvons un peu de verdure. Nous croisons la tombe dun porteur,
Hassan me dit quil est tombé dans une crevasse sur le glacier
du Jutmo lannée dernière. Décidément,
ce glacier fait froid dans le dos. »
Extrait de mon récit de trek Biafo-Hispar,
étape de Bitammal.