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LE
CINQUIEME COL
Ou le secret profané des hautes routes du Karakoram
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Le chemin de Tang, celui qui
mène aux pamirs, paturages d'été en bordure
de Chine
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Un voyage débute souvent dans une bibliothèque, à
la lecture danciens récits daventure ou à
la consultation de cartes géographiques. Voilà donc comment
on se retrouve dans une situation presque absurde, au fond dune
caverne aux confins de la Chine et du Pakistan, le nez dans la poussière
à chercher dimprobables reliques. Cette fois-ci, ce que
lon cherchait dans les récits oubliés des pionniers
se dévoile sous nos yeux émerveillés : une cote,
un tibia, quelques doigts, une étoffe de tissu... Nous tenons
dans nos mains la preuve qui témoigne peut-être de lexistence
des anciennes routes à travers les hauts cols glacés du
Karakoram, lune des plus incroyables migrations humaines de la
planète.
En 1937, un célèbre explorateur du nom dEric Shipton
achevait lexploration géographique des montagnes du Karakoram,
dessinant ainsi une carte remarquable de la Terra Incognita la plus
éloignée du royaume des Indes. En guise dépilogue
à ses recherches, Eric Shipton écrivait : «Dans
le Karakoram, le fait que les antiques routes commerciales soient fermées,
quelles soient très difficilement praticables mais quil
soit aisé den récolter des informations auprès
des autochtones est tout à fait exceptionnel. Il serait intéressant
pour la science denvoyer une expédition dans ces pays pour
tracer les restes des vieux itinéraires, pour localiser les ruines
dhabitations, et pour déterminer l'histoire migratrice
des personnes primitives de ces zones montagneuses isolées 1
».
Cest avec cette phrase en tête et les récits des
pionniers en poche que Matthieu et moi sommes partis jusquaux
confins du Karakoram enquêter sur ce passé oublié.
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Connaissance des cols, cols de la connaissance
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A linstar de lHimalaya, les montagnes du Karakoram forment
une grande barrière ethnique, géologique et climatique.
Longue de 375 km, cette chaîne de montagnes était appelée
Khara-Khelem 2, Tsagaan-Kherem 3,
Bolor 4 ou Belut tagh 5
selon ses versants et les peuples quelle abrite. William
Moorcroft, un officier de la Royal Geographical Society nomma ces montagnes
Karakorum 6 en 1821, nom emprunté
au col situé sur la route de la soie entre Leh et Yarkand. Dailleurs,
lhistoire de cette région se confond depuis longtemps avec
lhistoire de ses cols. Au XIXième siècle, les velléités
russo-britanniques devaient forcer les 2 superpuissances à explorer
les limites de leurs immenses empires coloniaux qui se rencontraient
on ne savait trop où dans les parages. Cest dabord
pour des raisons géostratégiques que des aventuriers britanniques
sont venus ici débrouiller les problèmes géographiques
complexes de ces montagnes. Ces pionniers navaient quune
idée en tête : savoir si les montagnes du Karakoram étaient
perméables à une éventuelle invasion de lennemi
russe. Arrivés dans les villages après de longues semaines
de marche, ils questionnaient les habitants et leur demandaient sils
connaissaient un col pour passer de lautre coté de la montagne.
Fins connaisseurs de leurs montagnes, les villageois confirmaient lexistence
de cols, des hommes y passaient parfois avec des bêtes, des armées
parfois, puis avaient cessés dêtre utiliser pour
des raisons obscures. Ces hommes rapportèrent lexistence
de ces cols aux états majors du Raj britannique dubitatif.
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Un passant allant ravitailler
Shuwert
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Ces hautes pistes qui étaient utilisées jusquau
milieu du XIXième siècle passaient toutes par des cols
à plus de 5000 mètres, situés au bout dénormes
glaciers. « Comment diable des gens pouvaient-ils passer?!! ».
Telle est la question qui taraudait lesprit des aventuriers. Ils
repérèrent 4 anciennes routes pour passer de lAsie
du Sud à lAsie centrale. Le col de Muztagh Est 7
(5422m) découvert en 1887 par Francis Younghusband était
probablement le plus utilisé, une vingtaine de maisons en ruine
ont même été découvertes en bas du col en
1903. Sir Martin Conway rencontra dans les séracs du col Muztagh
Ouest 8 (5370m) un petit groupe dhommes
qui revenaient du Turkestan 9 , munis de
simples bâton ! Il sagit de lunique témoignage
vivant de lexistence de ces hautes routes. Godfrey Thomas Vigne
découvrit le col de Saltoro 10 (5550m)
que Thomas Georges Longstaff 11 reliera
plus tard au col de Turkestan La (5850m), un col au nom évocateur
pour une incroyable route à travers les hauts glaciers de Siachen
12 ! Enfin, Charles Francis Schomberg,
Bill Tilman et Eric Shipton explorèrent les montagnes de Biafo,
de Wesm et dAghil dans les années 30 ; seul Schomberg osa
parler dun cinquième passage situé quelque part
au dessus du glacier de Braldu mais cette possibilité était
inimaginable vu les difficultés glaciaires que cet itinéraire
comportait. Tous dailleurs témoignèrent des difficultés
exceptionnelles quils endurèrent pour passer ces cols.
Cols après cols, le puzzle cartographique dune grande complexité
sest construit au rythme lent des expéditions. Il aura
fallu 81 ans de travail entre les premiers relevés géodésiques
de Godwin Austen 13 et lexpédition
dEric Shipton pour dessiner une carte relativement précise
du Karakoram ! Mais les cartes tracées, le mobile des anciennes
routes restait sans réponse.
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Entre Karakoram et Pamir
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Charmante femme de Shuwert
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Nous remontons Matthieu et moi le canyon de Shimshal, par une ancienne
piste qui reliait Yarkand et Leh. Le passé nous fait son premier
clin dil quand nous passons près des tentes délabrées
dune famille Gujar. Depuis des millénaires, ces familles
sont réduites par pauvreté à la recherche de quelques
paillettes dor en tamisant le sable avec des moyens rudimentaires.
Nous observons ces gens tout droit sortis dune scène de
la Bible à travers les vitres du 4X4, le chauffeur les regarde
avec condescendance. Les Shimshalis sintéressent plus à
leurs cheptels quà leurs richesses minières. Il
nous explique que lor drainé par la rivière Shimshal
proviendrait dun riche filon découvert par un homme qui
serait mort en emportant avec lui le secret de son trésor. Bienvenue
à Shimshal, pays aux milles légendes
. Il a fier
allure notre chauffeur avec son Toyota, la première voiture de
la région nous dit-il. Il a gagné sa vie en faisant des
petits boulots à New York, il nous raconte aussi son ascension
du K2 dans les années 80. Ces légendes là, je veux
bien les croire.
Nous arrivons à Shimshal, que les pionniers britanniques appelaient
Shingshal, «le pays de Sing ». Mamo Sing fut le premier
homme à coloniser la vallée il y a six siècles,
une autre légende impossible à vérifier mais que
tout le monde soutient ici. Les cultures et les maisons sont harmonieusement
séparées par des murs de pierre élevés sans
mortier et de jolis abricotiers clairsemés. Par son extrême
éloignement, Shimshal a encore tous les charmes du village rudimentaire.
Au début du XXième siècle, il fallait 3 semaines
de marche depuis Srinagar pour accéder au village ; il ne faut
plus désormais que 4 heures de route pour relier Shimshal à
la civilisation par une piste que les gens du pays ont mis 18 ans à
arracher aux montagnes. Le Mir de Hunza 14
demandait autrefois aux Shimshalis de guider les caravanes qui remontaient
les rives de la Hunza jusquau col de Mintaka, une porte sur la
haute Asie. Depuis lors, lhabileté et la robustesse des
montagnards de Shimshal sest perpétrée dans le temps
et ils font aujourdhui la compagnie très appréciée
des expéditions internationales, une réputation égale
à celle des Sherpas népalais.
Mais cette bonne réputation na pas toujours été
de mise. On sait aujourdhui que le village de Shimshal était
si éloigné de la civilisation quil était
utilisé comme bagne par le Mir de Hunza. Le Mir envoyait ses
prisonniers récalcitrants, doù son ancienne mauvaise
réputation. Les villageois sen défendent farouchement.
Cest au hasard dune conversation avec mon ami Karim Khan
quune autre version a surgit du passé. Pour lui, cette
réputation aurait une autre origine car daprès lui,
le mir de Hunza obligeait les Shimshalis à capturer les voyageurs
qui passaient sur leur territoire dans la vallée de la Braldu.
Or, 150 ans plus tôt, Godwin Austen écrivait : «Au-dessus
du col dHispar, un ancien itinéraire a été
abandonné en raison du danger des voleurs. Un itinéraire
alternatif, exempt de menaces d'attaques par les bandits, aurait alors
été adopté. Cet itinéraire doit vraisemblablement
se trouver vers le haut du Crevassed glacier que nous avons exploré
15 ». Le « Crevassed glacier » a été
par la suite exploré et jugé infranchissable par Younghusband,
confirmé par Eric Shipton des années plus tard. Litinéraire
« au-dessus du col dHispar » ne pouvait être
que le cinquième col situé en amont de la vallée
de Braldu et que Godwin Austen ignorait à lépoque.
Ces supposés voleurs pouvaient être alors les villageois
de Shimshal. Les hypothèses de mon ami Karim et celles émises
par Godwin Austen concordent en théorie. Partir vers la Braldu
vérifier ces hypothèses et y retrouver les restes de cette
ancienne route, voilà ce qui est devenu une idée fixe.
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Traces fraîches de léopard
des neiges
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Matthieu et moi prévoyons une semaine de marche pour parvenir
jusquà la vallée de la Braldu. Nous nous apprêtons
à souffrir car les 3 cols tous situés à presque
5000 mètres ne vont pas ménager nos organismes. Arc-boutés
sous nos sacs de 20 kilos, nous quittons Shimshal et commençons
donc à nous hisser péniblement sur les pentes escarpées
de Zar-I-gar-ben 16 jusquau col du
même nom, sous la neige. Laspirine vient à la rescousse
de nos migraines carabinées, encore 3 jours deffort dans
loxygène rare et nous serons acclimatés. Cest
alors quau col, nous commettons une erreur. Perdant la trace du
chemin dans le brouillard, nous décidons de piquer droit dans
la pente « De toutes façons, nous arriverons bien à
retomber sur le chemin
» : mauvaise pioche. La carte approximative
ne nous est daucun secours et nous nous engouffrons dans une vallée
inconnue jusquà son tréfonds. Toutes nos hypothèses
et nos forces épuisées, nous nous résignons à
un camp au fond dune combe où les pierres tombent en nous
sifflant aux oreilles. La journée suivante est pluvieuse mais
heureuse car après une très longue remontée, nous
retrouvons enfin le chemin tant désiré. Le soir, nous
couchons sous une énorme pierre à Sach-Mir, « le
chien mort », trempés et oreilles basses à la niche,
comme des chiens battus. Le lendemain, le beau temps est enfin là
et ne nous quittera plus pendant 15 jours. Cest du haut du Sach-Mir
Pass 17 (4700m) que nous contemplons enfin
les faces Nord du Karakoram. Il faudrait être aveugle pour ne
pas remarquer le caractère frontalier de la région. Les
versants sud de sables ravinés contrastent avec les sauvages
et impénétrables faces glacées du Karakoram.
Plus tard, nous marchons sur les confortables pentes herbeuses parsemées
de zones lacustres près du col de Shimshal. Cest une zone
de repos pour les oiseaux, nous nous y arrêtons net à la
vue dune centaine doies sauvages qui virevoltent bruyamment
dans un thermique. Il fait un vent à décorner les yaks
mais la température est douce. Nous sommes ici dans leldorado
des territoires du Nord, on se croirait presque dans le Jura si les
montbéliardes nétaient pas remplacées par
les yaks, les taupinières par détincelants sommets
vierges de 6000 mètres. Le Karakoram offre souvent ce contraste
dune terre dure et généreuse, faite dimprobables
havres de paix arrachés aux pinacles de glaces, aux pierriers
sans fin, aux ravines sans fond. Comme les Wakhis qui chantent toujours
gaiement à lapproche de leurs pâturages, cest
le cur léger que nous saluons les grands espaces. Le grand
Eric Shipton disait de ce coin du monde : « Certainement aucune
de mes expériences na été plus pleine, aucune
de mes entreprises ne ma valu de plus riche compensation que ces
quelques mois passés dans les montagnes inconnues au-delà
de la crête du Karakoram 18».
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Le cinquième col
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Pénitents sur le glacier
chaotique de Braldu
(photo 2005)
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En juin 2005, j'errais dans ces vastes espaces vierges et glacés
en compagnie de mes 5 compagnons de routes, en direction du cinquième
col, le Lukpe La. La vie s'organisait de façon autarcique. J'admirais
mes compagnons de route ramasser le Zork (taillis secs) pour économiser
le kérosène, les pierres tuilières plates pour
cuire les chapatis, et le Niltark, une plante au goût de poireau
et d'oignon qui agrémentait grandement nos plats de riz lentilles.
La radio que nous écoutons chaque soir est le seul lien qui nous
reliait à la civilisation mais son grésillement mélangé
au gingle des actualités de "radio Hunza" emprunté
à la série américaine de Bonanza sonnait de plus
en plus mal, les espaces immenses nous engloutissaient et leur quiétude
dénous habitait.
L'âne sauvage tibétain ou Kiang
L'âne sauvage (Equus Kiang) est appelé Kulan
dans le Gojal, Kiang (ou Skyang) au Baltistan et au Tibet. Le
Kiang est un animal fossile qui a vécu en Europe à
côté des mammouths pendant les cycles glaciaires
du pléistocène. Des espèces d'ânes
sauvages subsistent au Tibet, au Turkménistan, en
Somalie et en Inde, le Kiang étant le plus grand de tous
(~250 kg). Le Kiang doit sa survie à ses instincts protecteurs
innées.
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Les Kulans ou Kyangs surpris
dans la vallée de Braldu en juin 2005
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Doté d'une vue excellente, d'un odorat aigu et d'un
système auditif perfectionné, le Kiang est aussi
capable de trottiner sans arrêt sur de longues distances,
il serait aussi un excellent nageur. En effet, le Kiang du Karakoram
migre du plateau tibétain, traverse la rivière impétueuse
de la Shaksgam pour brouter l'herbe fraîche des hautes vallées
du nord du Pakistan jusqu'à 5000 mètres. Au Pakistan,
il est présent exclusivement dans la zone comprenant le
parc national de Khunjerab, la vallée de la Braldu et le
coté nord du col de Mustagh où il a été
rarement vu.
Le kiang à toujours joui d'une image mythique dans
la région. Les deux puissantes montagnes du khunyang Chhish
(7852m) et du Skyang Kangri (7554m) portent son nom, probablement
à cause de leurs granits jaunes qui rappellent la couleur
de son pelage. A l'Est du massif, les marchands de la route de
la soie parcourraient le Skyangpoche, le sentier de " l'âne
merveilleux " dans les paysages aux tons ocres du Karakoram
oriental. C'est l'explorateur William Moorcroft qui le premier
a rapporté l'existence de cet animal en Europe en 1821.
Enfin, George Schaller à écrit sur le kiang dans
son très beau livre " Stones of Silence" .
Le Kiang est répertorié comme espèce
hautement menacé par l'Union Internationale pour la Conservation
des ressources Naturelles (IUCN).
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Après un rodéo sur le dos de nos yaks en traversant
l'impétueuse rivière de Braldu, nous faisions une rencontre
incroyable avec des chevaux sauvages. " Kulans ! ! Kulans !
! " comme disaient mes porteurs, cet animal était une
légende pour eux aussi ! Après inspection des empreintes
et des crottes, Qudrat était formel, ce ne sont pas des ânes
mais bel et bien des chevaux. Originaires de la vallée chinoise
de Shaksgam, ils remontent les vallées adjacentes tous les étés
pour brouter l'herbe fraîche des hautes altitudes. Nous observions
leurs pelages roux et leurs croupes blanches s'enfuir au loin vers la
vallée de Wesm, notre direction. Je garderais longtemps en mémoire
cette rencontre irréelle avec ces animaux errants dans ce désert
minéral où la vie semblait pourtant interdite.
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Mes compagnons de route arrivés
au col de Lukpe La
(photo 2005)
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Plus tard, nous escaladions la quarantaine de kilomètres du
glacier de Braldu, bordé à son début par des bigs
walls magnifiques dont l'un d'eux rappelle étrangement les Drus
de Chamonix. La montée est classiquement épuisante quand
le sable laisse sa place aux cailloux, les cailloux à la glace,
la glace à la neige. Puis nous débouchions sur un haut
plateau glacé dont 3 expéditions en ont déjà
réussi la traversée, dont celle de David Hamilton en pulka
l'année dernière. Le paysage y est arctique. Tel un énorme
cairn de glace, les 6414 mètres d'altitude du Bobisghir nous
indiquait la direction du col. C'était une veine que le temps
s'améliore et nous ouvre la voie du col. Le mauvais temps des
derniers jours se révèlait être une aubaine car
la neige est certes profonde mais nous protège des crevasses
et nous épargnais des longs détours. Enchanté et
distrait par la magie des lieux, Shipton était en son temps tombé
ici dans l'une d'elle, et s'en était miraculeusement sorti. Mais
si le danger n'était pas sous nos pieds, il était en revanche
au-dessus de nos têtes. Près du col, une avalanche se rua
soudainement sur nous : "Come on ! Go ! Go ! Go !", des cris,
des sifflets, je jette mon sac au sol et me met à courir aussi,
réflexe désuet face à un phénomène
bien trop rapide pour 7 hommes avec un fil à la patte, liés
à la vie à la mort. Je cours avec mes compagnons, mon
cur bat à se rompre, le grondement de l'avalanche approcha
puis vient mourir à nos pieds.
Le col de Lukpe La marque la ligne de partage des eaux entre l'Asie
centrale et l'Asie du Sud, nous le franchissions après 12 heures
d'efforts, à 5620m. Nous y plantions nos piquets de tentes comme
on plante les pics des drapeaux qui nous manquent, pour mieux marquer
notre conquête après 15 jours d'efforts. Le coucher de
soleil était splendide sur le troisième pôle, la
nuit y est glaciale.
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Descente après le col
de Lukpe La vers le vaste plateau glacière de Sim gang
(photo 2005)
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Le lendemain, nos pieds recroquevillés dans nos chaussures
durcies par le gel, nous plongions vers les plaines surchauffées
de l'Indus, en contournant les bords d'un Ice Fall. Puis
la marche devint plus aisée lorsque nous atteignions la surface
plane du glacier de Sim Gang, 80 kilomètres de terrain glaciaire
restait à parcourir sur l'un des plus longs glaciers du monde,
pôles exceptés. Les 7285 mètres de la face Nord
du Baintha Brakk ferment les portes de ce jardin extraordinaire que
nous parcourions 2 jours durant. Une amplitude de 40 degrés entre
le jour et la nuit mis nos organismes à rude épreuve,
nous crevions de soif sur le Snow Lake et ma pommade à lèvres
me sauvait la vie. C'est au camp de Baintha au pied de la montagne du
même nom que nous retrouvions une végétation explosive,
un cadeau de la nature qui réveillait nos sens. Les bergers d'Askole
n'aiment guère emmener paître leurs bêtes dans cette
verdure par peur des ours. Nous restions une journée à
nous prélasser dans cette végétation préservée.
Nous gagnions enfin Askole, notre premier village après 18 jours
passés dans les plus beaux paysages de montagne du monde, aux
dires d'un certain Eric Shipton.
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