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LE
PARAPENTE AU KARAKORAM
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4 Septembre 2005, Gilgit-Baghulti, 120 Kms :
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Survol d'un sommet sans nom
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Un ciel bleu immaculé, et des brumes en fond de vallée.
Est ce vraiment le scénario idéal pour réaliser
du grand vol bivouac ? C'est la question que l'on se pose avec Julien,
avant de décoller pour un nouveau mois d'aventure. Nous espérons
boucler un circuit en vol bivouac de Gilgit à Chitral, à
travers les massifs du Karakoram et de l'Hindou Kuch. Une ballade de
plus de 500 Kms, imposant le franchissement de cols de plus de 5000
mètres. C'est pourquoi nous avons choisi le mois de septembre,
entre la mousson et l'automne, et où l'enneigement en altitude
est censé être moindre ; car si l'aérologie ne s'avère
pas favorable, il nous faudra passer à pied.
Les premières impressions de vol sont inquiétantes. C'est
stable, et nous avons du mal à gagner de l'altitude. Nous avons
décollé à 2500 mètres, et il nous faut plus
d'une heure pour atteindre la barre des 4000 m, l'altitude limite pour
quitter Gilgit. Quand enfin, nous parvenons à prendre appui sur
les premiers hauts reliefs de la vallée, l'aérologie redouble
enfin d'intensité, et nous voilà en quelques tours catapultés
à 6000 m. Le grand voyage peut commencer.
Pas facile de voler à 6000 mètres, alors qu'il y a à
peine trois jours, on suffoquait dans l'air surchauffé de Rawalpindi
! J'essaie de réduire au maximum mes gains d'altitude, en volant
vite, à ras les crêtes, sur cette autoroute à thermiques.
A la lecture des cartes, il nous avait paru évident de cheminer
le long de la vallée de la Gilgit river, jusqu'au pied de la
chaîne de l'Hindou Raj. C'est effectivement le cas, et nous avalons
les kilomètres sans difficulté à la verticale de
paysages d'une diversité étonnante, entre glaciers, déserts
de pierres, coulées volcaniques, et soudain, au détour
d'une crête, à près de 5000 m d'altitude, une immense
dune de sable ! Nous nous posons à l'ombre de l'écrasante
masse du Dhuli Chhish (6500 m), dans la vallée de Darkhot, au
pied de la chaîne de l'Hindou Raj. Les vrais ennuis peuvent commencer.
Pour l'heure, nous nous laissons conduire par une foule en liesse vers
la plus belle maison du village. Nous serons ce soir comme des princes,
nourris, gavés, dorlotés, de quoi vite oublier notre extrême
lassitude après ces heures passées à respirer de
l'air raréfié. Mais c'est au moment de dormir enfin que
l'on vient nous chercher d'urgence pour nous conduire vers le seul téléphone
en état de marche du village ; Au bout du fil, un policier surexcité,
que l'on avait survolé 20 Kms auparavant, et qui nous presse
de questions dans un mauvais anglais :
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Paysage far west sur ce même
itinéraire
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- "D'où venez-vous ?
- De Gilgit, en cinq heures de vol !
- ??! Quoi! Mais c'est incroyable !
- Pourquoi ne vous êtes pas posé au dernier check point
?
- Mais nous ne sommes pas des talibans, seulement des frenchies volant
!
- (rire) Et demain, où allez-vous ?
- Mastuj
- !!! Mais c'est impossible! éclate-t-il de rire. Traverser l'Hindou
Raj !? Mais c'est beaucoup trop haut! Vous êtes fous ! "
Et voilà comment on s'endort pour une nuit de cauchemars; traverser
l'Hindou Raj en vol, quelle hérésie! Tout le monde le
dit.
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5 septembre 2005, Baghulti :
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Le Duli Chhish vu du ciel à
6500m
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Le réveil est douloureux. D'abord le mal de tête. Puis
les crampes. Enfin les boyaux qui se vident à toute allure. Aujourd'hui
je ne volerai pas. Par chance, Julien ne va guère mieux. Nous
allons ainsi passer la journée entre le duvet et les toilettes.
Heureusement nos hôtes sont aux petits soins pour nous. Il est
loin le temps du Great Game, où l'on assassinait sauvagement
ici même les espions britanniques venus cartographier ces régions
classées alors terra incognita. Une lecture attentive de nos
cartes russes nous révèle la difficulté de notre
future entreprise; un seul col permet le franchissement à pied
de cette chaîne de l'Hindou Raj, à 5100 mètres,
mais, exposé plein nord, et essentiellement glaciaire, ce chemin
d'une semaine de marche ne semble pas être le meilleur sur le
plan aérologique. Si l'on veut traverser la chaîne en volant,
il nous faudra viser droit dans la muraille de plus de 6000 m, et tacher
d'y trouver un point faible pour basculer de l'autre coté. Si
l'on échoue, ce sera des jours et des jours de marche pour revenir
à notre point de départ... Et voilà comment on
se prépare une seconde nuit de cauchemars !
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6 septembre 2005, Baghulti-Minagan, 80 Kms :
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Traversée de l'Hindou
Rag, face nord du Chikari
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Le ciel est au beau fixe, seuls quelques lambeaux de brume trahissent
une énorme stabilité de basse couche. Et tout va mieux
dans nos boyau ! Pourtant nos tripes restent nouées, à
l'heure d'en découdre vraiment avec nos rêves. Nous quittons
à regret nos amis, avalons avec peine 1000 mètres de dénivelé
dans des pentes très raides, pour nous mettre finalement en l'air
dés la brise installée. Pas une trace d'instabilité
dans un ciel désespérément bleu. Le doute. Et puis
d'un coup le hurlement du vario : 3, puis 5, puis plus de 10 ms, et
en vingt minutes nous voilà perchés asphyxiés 3500
mètres plus hauts, à la verticale du Duli Chhish. Avant
de décoller, nous avions avalé en hâte toutes sortes
de médicaments, pour contrer les effets de l'altitude, et c'est
en rotant sans cesse leurs effluves nauséabonds que l'on plane
frigorifiés vers la prodigieuse muraille de 6000 mètres
du Chikari. Nos deux Vallunas se tordent, se cabrent à la folie,
mais jamais ne ferment dans cette aérologie en furie, et nous
mènent bon gré mal gré à la porte de notre
rêve. Un dernier plafond et je franchis le premier, en apnée,
la chaîne du Chikari, en compagnie d'un aigle, quelque part à
6000 mètres.
-"WWAOU! Trop fort!"
Hurlements, déchaînement de joie à la radio, nous
avons traversé la chaîne de l'Hindou Raj ! Il ne nous reste
plus qu'à nous laisser glisser le long de toutes ces faces nord,
dégoulinantes de glace et encore vierges de toutes ascensions.
Nous atterrissons deux heures plus tard, à quelques kilomètres
de Mastuj. La suite on connaît déjà: la foule en
liesse, la plus belle maison du village, les questions pressantes, mais
cette fois dans une autre langue, et les plats succulents...
Sans oublier les regards incrédules des policiers chargés
de surveiller les cols.
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Du 7 au 13 septembre 2005, Mastuj :
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Le parapente rase les éccoliers
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N'allez pas croire qu'il fait toujours beau au royaume du Karakoram.
Au contraire, l'inverse serait plutôt la règle. Aussi,
après avoir rallier Mastuj à pied, nous voilà scotchés
dans cette triste bourgade une semaine durant, à attendre que
le vent d'ouest et son cortège d'orages apocalyptiques ne cesse.
Triste village en effet, les gens ici ne sourient pas beaucoup, alors
même qu'ils ont la chance d'être relié au monde par
une piste, et qu'ils connaissent ainsi en peu du confort moderne. Et
c'est pour cette même raison qu'ils sont un peu aigris, nous avouera
un instituteur, car ils aimeraient maintenant avoir plus du peu qu'ils
ont.
Mais notre arrivée à pied incognito, puis cette attente
forcée a l'avantage de nous forcer à des relations plus
modestes et donc plus vraies avec les gens. La découverte de
l'autre se fait humblement, pas à pas. Nous nous découvrons
un vrai ami, Abou Beker, l'instituteur, pour qui nous ferons des petits
vols de démonstration dans son école. Grâce à
lui, l'attente de jours meilleurs se fait moins ennuyeuse, même
si le doute s'insinue peu à peu dans nos esprits, au rythme des
chutes de neige de plus en plus basses sur les montagnes. L'automne
est résolument à nos trousses, et nous craignons de perdre
la course!
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14 septembre 2005, Mastuj-Theru, 60 Kms :
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Juste après avoir traversé
le Shandur pass, rive droite de la valléee de Ghizer à
6500 m
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Le vent souffle toujours d'ouest, mais il a faibli. Il nous faut s'envoler
aujourd'hui. Et plutôt que de poursuivre vers Chitral, on met
les voiles vers Gilgit par le Shangur pass, vent arrière toute.
Mais d'abord il nous faut trouver où décoller; partout
les montagnes n'ont à offrir que des versants d'éboulis
extrêmement raides. Le seul versant acceptable n'est pas très
bien orienté, globalement sous le vent de la chaîne du
Buni Zom située juste en face. C'est donc un vol particulièrement
rugueux qui s'annonce et qui se confirme au gré des thermiques
puissants coupés par le vent. Tant bien que mal, nous parvenons
à rejoindre le Shangur pass, un immense plateau herbeux dont
l'infernale traversée réduira à néant notre
réserve d'altitude. Heureusement le vent nous permet de raccrocher
très bas sur les premiers talus, et en quelques minutes, nous
voilà à nouveau au plafond, avec cette fois le vent dans
le dos... et un aigle déchaîné sur la voile de Julien!
Il lui faudra une longue séance de "Wings" et de 360
pour lui faire lâcher prise, un exercice épuisant et pas
vraiment fun quand on vole à plus de 6000 mètres! D'ailleurs
les plafonds montent sans cesse, jusqu'à atteindre 6500m, alors
que nous survolons une chaîne de montagnes résumée
par nos cartes par un laconique "information glacial limited".
Nous sommes plus que jamais au cur palpitant de notre aventure,
et nous avons repris l'avantage sur l'automne. Tout est bien.
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15 septembre 2005, Theru-Ishkommen, 120 Kms :
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La vallée de Karambar
prise à 7000m d'altitude
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Les cumulus filent poussés par un vent d'ouest à nouveau
forcissant. L'automne s'accroche, et colle à nos semelles de
vent. Mais une seule dernière grande ligne droite nous sépare
de Gilgit. L'avantage de voler à plus de 6000 mètres,
c'est que nos voiles affichent des performances décuplées;
bras hauts avec nos petites Vallunas, nous volons à près
de 50 Kms/h! Si bien qu'avec plus de 30 Kms/h de vent dans le dos, nous
voilà ce jour lancé dans un vol en forme de sprint haletant,
poussés par un front de nuages et de rideaux de neige!
Parvenus à la confluence des vallées de la rivière
Gilgit et de la Karambar, nous recoupons alors notre itinéraire
de l'aller. Et plutôt que d'en finir sagement sur Gilgit, par
un chemin que l'on connaît bien, nous décidons de nous
enfoncer dans la vallée de la Karambar, au pied du massif du
Batura. Un choix parfaitement suicidaire compte tenu de l'évolution
aérologique de ces derniers jours. Mais nous sommes à
moins de 50 Kms du Chilingi pass, et nous osons rêver d'un formidable
hold up. Nous nous posons dans le village d'Ishkommen, après
120 Kms de crêtes sauvages, avalées en guère plus
de trois heures!
Encore une soirée délicieuse parmi nos hôtes d'un
vol. Nous répondons à toutes les questions, mangeons à
tous les plats, mais au fond de nous, une seule pensée, obsessionnelle:
où diable serons-nous demain soir? Dans les bras d'Alam Jam,
mais alors il aura fallu voler à 7000 mètres! Ou quelque
part sur les hauteurs de la Karambar, au début d'une très
longue galère, et se maudissant d'avoir eu une si stupide idée.
S'ensuit encore une nuit à cauchemarder...
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16 septembre 2005, Ishkommen-Zu Tron (Chapursan),
70 Kms :
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Autoportrait de Julien, à
la vertical du Koz Sar, à 7000m, traversée du massif
du Batura
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Un décollage de rêve, dans le haut d'une combe face à
la brise. Un ciel limpide constellé de petits cumulus à
plus de 7000m. Et une formidable arène de parois, et de glaciers
d'un autre monde, comme ce fameux Batura wall déroulant ses trente
kilomètres d'arêtes à 7000 m. Voilà le décor
idéalement planté pour notre rendez-vous avec un rêve
de plus d'un an. Car nous avions rendez-vous; d'abord une aérologie
dantesque qui nous propulse aux nuages en quelques minutes. Mais cette
fois nos cervelles gavées d'hémoglobine ne s'inquiètent
plus trop du chiffre hallucinant qui s'affiche sur l'écran de
nos altimètres: 6900 mètres! Et le vent, complice également
en nous poussant parfaitement sur l'axe désiré; nous filons
80 Kms/ au GPS vers la ligne de crête du Khoz Sar et du Chilingi
qu'il nous faut franchir.
Le panorama est littéralement bluffant. Nous sommes exactement
à la verticale de la confluence de trois chaînes de montagne
parmi les plus fantastiques au monde: Karakoram, Hindou Kuch et Pamir.
Et tandis que j'enroule les ascendances au plus près de la voile
de Julien, je mesure subitement ma situation, à l'exact point
culminant de ma passion pour l'aventure. Nous vivons tout simplement
le plus beau vol de notre vie.
Après un dernier plein à la verticale du Khoz Sar (6800m),
nous basculons dans un univers digne de Tolkien, un gigantesque palais
de glace sertis d'une multitude de murailles vertigineuses, complètement
glacées. La transition se fait sans souci, et nous voilà
maintenant partis pour une interminable séance de toboggan à
la verticale du glacier de Yacund, avec déjà en ligne
de mire les montagnes rouge sang de la vallée de la Chapursan.
Nous avons réussi à traverser la chaîne du Batura!
L'émotion est à la mesure du paysage, la fatigue aussi,
et je ne m'aperçois pas que ma vitesse sol accélère
franchement en me rapprochant du fond de la vallée. Un vent catabatique
puissant dévale en effet cette énorme masse glaciaire.
C'était donc lui le maudit qui nous avait fait renoncer au pied
du col l'année dernière. Mais je ne le saurai vraiment
qu'au réveil de mon douloureux crash, après avoir atterri
vent arrière toute sur un lit de galet. Des millions d'étoiles
s'allument devant mes yeux, mais elles sont toutes rayonnantes de bonheur.
Il nous aura fallu à peine deux heures de vol pour rallier la
Chapursan. Le seul autre chemin possible prend dix jours à pied,
accompagné d'un guide, et en ayant préalablement obtenu
l'autorisation spéciale. Tombés du ciel, nous tombons
mal, car le premier être humain que l'on rencontre est un policier,
improbable sentinelle de ce confins du monde. Mais il renonce bien vite
à nous causer des problèmes. Notre joie est contagieuse.
Et ahuri, il nous regarde nous éloigner, la démarche lourde,
écrasés d'un coup de toutes les fatigues et les tensions
accumulées. Mais il devine nos sourires s'étirant jusqu'aux
oreilles.
Nous nous en allons frapper à la porte d'Alam Jam, notre ami.
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