Page voyage au Cachemire
LE PARAPENTE AU KARAKORAM
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4 Septembre 2005, Gilgit-Baghulti, 120 Kms
5 septembre 2005, Baghulti
6 septembre 2005, Baghulti-Minagan, 80 Kms
Du 7 au 13 septembre 2005, Mastuj
14 septembre 2005, Mastuj-Theru, 60 Kms
15 septembre 2005, Theru-Ishkommen, 120 Kms
16 septembre 2005, Ishkommen-Zu Tron (Chapursan), 70 Kms

4 Septembre 2005, Gilgit-Baghulti, 120 Kms :

Survol d'un sommet sans nom

Un ciel bleu immaculé, et des brumes en fond de vallée. Est ce vraiment le scénario idéal pour réaliser du grand vol bivouac ? C'est la question que l'on se pose avec Julien, avant de décoller pour un nouveau mois d'aventure. Nous espérons boucler un circuit en vol bivouac de Gilgit à Chitral, à travers les massifs du Karakoram et de l'Hindou Kuch. Une ballade de plus de 500 Kms, imposant le franchissement de cols de plus de 5000 mètres. C'est pourquoi nous avons choisi le mois de septembre, entre la mousson et l'automne, et où l'enneigement en altitude est censé être moindre ; car si l'aérologie ne s'avère pas favorable, il nous faudra passer à pied.
Les premières impressions de vol sont inquiétantes. C'est stable, et nous avons du mal à gagner de l'altitude. Nous avons décollé à 2500 mètres, et il nous faut plus d'une heure pour atteindre la barre des 4000 m, l'altitude limite pour quitter Gilgit. Quand enfin, nous parvenons à prendre appui sur les premiers hauts reliefs de la vallée, l'aérologie redouble enfin d'intensité, et nous voilà en quelques tours catapultés à 6000 m. Le grand voyage peut commencer.
Pas facile de voler à 6000 mètres, alors qu'il y a à peine trois jours, on suffoquait dans l'air surchauffé de Rawalpindi ! J'essaie de réduire au maximum mes gains d'altitude, en volant vite, à ras les crêtes, sur cette autoroute à thermiques. A la lecture des cartes, il nous avait paru évident de cheminer le long de la vallée de la Gilgit river, jusqu'au pied de la chaîne de l'Hindou Raj. C'est effectivement le cas, et nous avalons les kilomètres sans difficulté à la verticale de paysages d'une diversité étonnante, entre glaciers, déserts de pierres, coulées volcaniques, et soudain, au détour d'une crête, à près de 5000 m d'altitude, une immense dune de sable ! Nous nous posons à l'ombre de l'écrasante masse du Dhuli Chhish (6500 m), dans la vallée de Darkhot, au pied de la chaîne de l'Hindou Raj. Les vrais ennuis peuvent commencer.
Pour l'heure, nous nous laissons conduire par une foule en liesse vers la plus belle maison du village. Nous serons ce soir comme des princes, nourris, gavés, dorlotés, de quoi vite oublier notre extrême lassitude après ces heures passées à respirer de l'air raréfié. Mais c'est au moment de dormir enfin que l'on vient nous chercher d'urgence pour nous conduire vers le seul téléphone en état de marche du village ; Au bout du fil, un policier surexcité, que l'on avait survolé 20 Kms auparavant, et qui nous presse de questions dans un mauvais anglais :

Paysage far west sur ce même itinéraire

- "D'où venez-vous ?
- De Gilgit, en cinq heures de vol !
- ??! Quoi! Mais c'est incroyable !
- Pourquoi ne vous êtes pas posé au dernier check point ?
- Mais nous ne sommes pas des talibans, seulement des frenchies volant !
- (rire) Et demain, où allez-vous ?
- Mastuj
- !!! Mais c'est impossible! éclate-t-il de rire. Traverser l'Hindou Raj !? Mais c'est beaucoup trop haut! Vous êtes fous ! "


Et voilà comment on s'endort pour une nuit de cauchemars; traverser l'Hindou Raj en vol, quelle hérésie! Tout le monde le dit.

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5 septembre 2005, Baghulti :

Le Duli Chhish vu du ciel à 6500m

Le réveil est douloureux. D'abord le mal de tête. Puis les crampes. Enfin les boyaux qui se vident à toute allure. Aujourd'hui je ne volerai pas. Par chance, Julien ne va guère mieux. Nous allons ainsi passer la journée entre le duvet et les toilettes.
Heureusement nos hôtes sont aux petits soins pour nous. Il est loin le temps du Great Game, où l'on assassinait sauvagement ici même les espions britanniques venus cartographier ces régions classées alors terra incognita. Une lecture attentive de nos cartes russes nous révèle la difficulté de notre future entreprise; un seul col permet le franchissement à pied de cette chaîne de l'Hindou Raj, à 5100 mètres, mais, exposé plein nord, et essentiellement glaciaire, ce chemin d'une semaine de marche ne semble pas être le meilleur sur le plan aérologique. Si l'on veut traverser la chaîne en volant, il nous faudra viser droit dans la muraille de plus de 6000 m, et tacher d'y trouver un point faible pour basculer de l'autre coté. Si l'on échoue, ce sera des jours et des jours de marche pour revenir à notre point de départ... Et voilà comment on se prépare une seconde nuit de cauchemars !

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6 septembre 2005, Baghulti-Minagan, 80 Kms :

Traversée de l'Hindou Rag, face nord du Chikari

Le ciel est au beau fixe, seuls quelques lambeaux de brume trahissent une énorme stabilité de basse couche. Et tout va mieux dans nos boyau ! Pourtant nos tripes restent nouées, à l'heure d'en découdre vraiment avec nos rêves. Nous quittons à regret nos amis, avalons avec peine 1000 mètres de dénivelé dans des pentes très raides, pour nous mettre finalement en l'air dés la brise installée. Pas une trace d'instabilité dans un ciel désespérément bleu. Le doute. Et puis d'un coup le hurlement du vario : 3, puis 5, puis plus de 10 ms, et en vingt minutes nous voilà perchés asphyxiés 3500 mètres plus hauts, à la verticale du Duli Chhish. Avant de décoller, nous avions avalé en hâte toutes sortes de médicaments, pour contrer les effets de l'altitude, et c'est en rotant sans cesse leurs effluves nauséabonds que l'on plane frigorifiés vers la prodigieuse muraille de 6000 mètres du Chikari. Nos deux Vallunas se tordent, se cabrent à la folie, mais jamais ne ferment dans cette aérologie en furie, et nous mènent bon gré mal gré à la porte de notre rêve. Un dernier plafond et je franchis le premier, en apnée, la chaîne du Chikari, en compagnie d'un aigle, quelque part à 6000 mètres.

-"WWAOU! Trop fort!"
Hurlements, déchaînement de joie à la radio, nous avons traversé la chaîne de l'Hindou Raj ! Il ne nous reste plus qu'à nous laisser glisser le long de toutes ces faces nord, dégoulinantes de glace et encore vierges de toutes ascensions. Nous atterrissons deux heures plus tard, à quelques kilomètres de Mastuj. La suite on connaît déjà: la foule en liesse, la plus belle maison du village, les questions pressantes, mais cette fois dans une autre langue, et les plats succulents...
Sans oublier les regards incrédules des policiers chargés de surveiller les cols.


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Du 7 au 13 septembre 2005, Mastuj :

Le parapente rase les éccoliers

N'allez pas croire qu'il fait toujours beau au royaume du Karakoram. Au contraire, l'inverse serait plutôt la règle. Aussi, après avoir rallier Mastuj à pied, nous voilà scotchés dans cette triste bourgade une semaine durant, à attendre que le vent d'ouest et son cortège d'orages apocalyptiques ne cesse.
Triste village en effet, les gens ici ne sourient pas beaucoup, alors même qu'ils ont la chance d'être relié au monde par une piste, et qu'ils connaissent ainsi en peu du confort moderne. Et c'est pour cette même raison qu'ils sont un peu aigris, nous avouera un instituteur, car ils aimeraient maintenant avoir plus du peu qu'ils ont.
Mais notre arrivée à pied incognito, puis cette attente forcée a l'avantage de nous forcer à des relations plus modestes et donc plus vraies avec les gens. La découverte de l'autre se fait humblement, pas à pas. Nous nous découvrons un vrai ami, Abou Beker, l'instituteur, pour qui nous ferons des petits vols de démonstration dans son école. Grâce à lui, l'attente de jours meilleurs se fait moins ennuyeuse, même si le doute s'insinue peu à peu dans nos esprits, au rythme des chutes de neige de plus en plus basses sur les montagnes. L'automne est résolument à nos trousses, et nous craignons de perdre la course!

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14 septembre 2005, Mastuj-Theru, 60 Kms :

Juste après avoir traversé le Shandur pass, rive droite de la valléee de Ghizer à 6500 m

Le vent souffle toujours d'ouest, mais il a faibli. Il nous faut s'envoler aujourd'hui. Et plutôt que de poursuivre vers Chitral, on met les voiles vers Gilgit par le Shangur pass, vent arrière toute. Mais d'abord il nous faut trouver où décoller; partout les montagnes n'ont à offrir que des versants d'éboulis extrêmement raides. Le seul versant acceptable n'est pas très bien orienté, globalement sous le vent de la chaîne du Buni Zom située juste en face. C'est donc un vol particulièrement rugueux qui s'annonce et qui se confirme au gré des thermiques puissants coupés par le vent. Tant bien que mal, nous parvenons à rejoindre le Shangur pass, un immense plateau herbeux dont l'infernale traversée réduira à néant notre réserve d'altitude. Heureusement le vent nous permet de raccrocher très bas sur les premiers talus, et en quelques minutes, nous voilà à nouveau au plafond, avec cette fois le vent dans le dos... et un aigle déchaîné sur la voile de Julien! Il lui faudra une longue séance de "Wings" et de 360 pour lui faire lâcher prise, un exercice épuisant et pas vraiment fun quand on vole à plus de 6000 mètres! D'ailleurs les plafonds montent sans cesse, jusqu'à atteindre 6500m, alors que nous survolons une chaîne de montagnes résumée par nos cartes par un laconique "information glacial limited".
Nous sommes plus que jamais au cœur palpitant de notre aventure, et nous avons repris l'avantage sur l'automne. Tout est bien.

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15 septembre 2005, Theru-Ishkommen, 120 Kms :

La vallée de Karambar prise à 7000m d'altitude

Les cumulus filent poussés par un vent d'ouest à nouveau forcissant. L'automne s'accroche, et colle à nos semelles de vent. Mais une seule dernière grande ligne droite nous sépare de Gilgit. L'avantage de voler à plus de 6000 mètres, c'est que nos voiles affichent des performances décuplées; bras hauts avec nos petites Vallunas, nous volons à près de 50 Kms/h! Si bien qu'avec plus de 30 Kms/h de vent dans le dos, nous voilà ce jour lancé dans un vol en forme de sprint haletant, poussés par un front de nuages et de rideaux de neige!
Parvenus à la confluence des vallées de la rivière Gilgit et de la Karambar, nous recoupons alors notre itinéraire de l'aller. Et plutôt que d'en finir sagement sur Gilgit, par un chemin que l'on connaît bien, nous décidons de nous enfoncer dans la vallée de la Karambar, au pied du massif du Batura. Un choix parfaitement suicidaire compte tenu de l'évolution aérologique de ces derniers jours. Mais nous sommes à moins de 50 Kms du Chilingi pass, et nous osons rêver d'un formidable hold up. Nous nous posons dans le village d'Ishkommen, après 120 Kms de crêtes sauvages, avalées en guère plus de trois heures!
Encore une soirée délicieuse parmi nos hôtes d'un vol. Nous répondons à toutes les questions, mangeons à tous les plats, mais au fond de nous, une seule pensée, obsessionnelle: où diable serons-nous demain soir? Dans les bras d'Alam Jam, mais alors il aura fallu voler à 7000 mètres! Ou quelque part sur les hauteurs de la Karambar, au début d'une très longue galère, et se maudissant d'avoir eu une si stupide idée. S'ensuit encore une nuit à cauchemarder...

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16 septembre 2005, Ishkommen-Zu Tron (Chapursan), 70 Kms :

Autoportrait de Julien, à la vertical du Koz Sar, à 7000m, traversée du massif du Batura

Un décollage de rêve, dans le haut d'une combe face à la brise. Un ciel limpide constellé de petits cumulus à plus de 7000m. Et une formidable arène de parois, et de glaciers d'un autre monde, comme ce fameux Batura wall déroulant ses trente kilomètres d'arêtes à 7000 m. Voilà le décor idéalement planté pour notre rendez-vous avec un rêve de plus d'un an. Car nous avions rendez-vous; d'abord une aérologie dantesque qui nous propulse aux nuages en quelques minutes. Mais cette fois nos cervelles gavées d'hémoglobine ne s'inquiètent plus trop du chiffre hallucinant qui s'affiche sur l'écran de nos altimètres: 6900 mètres! Et le vent, complice également en nous poussant parfaitement sur l'axe désiré; nous filons 80 Kms/ au GPS vers la ligne de crête du Khoz Sar et du Chilingi qu'il nous faut franchir.
Le panorama est littéralement bluffant. Nous sommes exactement à la verticale de la confluence de trois chaînes de montagne parmi les plus fantastiques au monde: Karakoram, Hindou Kuch et Pamir. Et tandis que j'enroule les ascendances au plus près de la voile de Julien, je mesure subitement ma situation, à l'exact point culminant de ma passion pour l'aventure. Nous vivons tout simplement le plus beau vol de notre vie.
Après un dernier plein à la verticale du Khoz Sar (6800m), nous basculons dans un univers digne de Tolkien, un gigantesque palais de glace sertis d'une multitude de murailles vertigineuses, complètement glacées. La transition se fait sans souci, et nous voilà maintenant partis pour une interminable séance de toboggan à la verticale du glacier de Yacund, avec déjà en ligne de mire les montagnes rouge sang de la vallée de la Chapursan. Nous avons réussi à traverser la chaîne du Batura! L'émotion est à la mesure du paysage, la fatigue aussi, et je ne m'aperçois pas que ma vitesse sol accélère franchement en me rapprochant du fond de la vallée. Un vent catabatique

puissant dévale en effet cette énorme masse glaciaire. C'était donc lui le maudit qui nous avait fait renoncer au pied du col l'année dernière. Mais je ne le saurai vraiment qu'au réveil de mon douloureux crash, après avoir atterri vent arrière toute sur un lit de galet. Des millions d'étoiles s'allument devant mes yeux, mais elles sont toutes rayonnantes de bonheur.
Il nous aura fallu à peine deux heures de vol pour rallier la Chapursan. Le seul autre chemin possible prend dix jours à pied, accompagné d'un guide, et en ayant préalablement obtenu l'autorisation spéciale. Tombés du ciel, nous tombons mal, car le premier être humain que l'on rencontre est un policier, improbable sentinelle de ce confins du monde. Mais il renonce bien vite à nous causer des problèmes. Notre joie est contagieuse. Et ahuri, il nous regarde nous éloigner, la démarche lourde, écrasés d'un coup de toutes les fatigues et les tensions accumulées. Mais il devine nos sourires s'étirant jusqu'aux oreilles.
Nous nous en allons frapper à la porte d'Alam Jam, notre ami.


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Notre ami Alam Jan

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